Mais qui donc est La' Chat ? Telle est la question que se sont posée de jeunes gens peu au fait de l'histoire du hip-hop quand, en avril dernier la rappeuse de Memphis s'en est prise à Cardi B avec un freestyle lâché sur le "Who Run It" de G Herbo. Le sujet de la discorde était un titre du premier album de la chouchoute du moment, "Bickenhead", une référence à "Chickenhead", un grand classique du rap sudiste du début des années 2000 interprété par Project Pat. La' Chat, tout comme ses compères DJ Paul et Juicy J, avait participé à ce titre, et elle reprochait maintenant à sa collègue rappeuse d'en faire son beurre sans leur avoir versé un centime.

LA' CHAT - Murder She Spoke

C'est que "Chickenhead" n'a pas été un morceau anodin. Il fut, en 2001, l'un des premiers succès nationaux pour la scène rap de Memphis, et il sonna l'heure de gloire pour La' Chat, qui sortirait son premier album dans la foulée, sur Hypnotize Minds, avec le concours évident de Juicy J et de DJ Paul. Cependant, cela faisait déjà un moment que Chastity Daniels, de son vrai nom, trainait avec tous ces gens. Depuis le début en fait, puisqu'on l'avait entendue dès 1995 sur le morceau éponyme de Mystic Stylez, le premier album historique de la Three 6 Mafia.

Elle n'a certes jamais fait partie du groupe, la place de fille de la bande étant dévolue à Gangsta Boo. Mais c'était tout comme. Les deux femmes qui, 15 années plus tard, sortiraient ensemble le projet Witch, avaient d'ailleurs beaucoup en commun. Toutefois, alors qu'avec son premier album, Enquiring Minds, Gangsta Boo avait joué un peu de la carte sexy, alors de mise dans le rap féminin, La' Chat n'explorait sur le sien qu'une seule dimension : son statut de thug, de criminelle et de fille de la rue. Murder She Spoke, annonçait le titre de son disque. Et à raison.

La' Chat vomissait sa haine sur "Don't Sang It", se tenant prête à jouer des poings. Elle crachait son fiel sur "Salt Shakers". Et elle le faisait encore, et encore, sur "U Claimin' You're Real", "Ain't No Nigga" et "Nigga Comin' Clean". Elle décrivait aussi ses lucratives activités de dealeuse sur "A Crumb 2 A Brick" et "I Don't Trust Dem Boys", quand elle ne se dépeignait pas en voleuse et en tueuse, sur "Yeah, I Rob". Elle aspirait à se défoncer à la marijuana et à l'alcool sur "Smoke Witcha" et "Luv 2 Get High". Elle se plaçait au-dessus des fiers-à-bras de la gent masculine sur "You ain't Mad Iz Ya?", et déclarait même viser leur bite avec son flingue sur "What Kinda Bitch Do You Want". Elle était la femelle affamée d'une meute, comme le signifiait "Wolf Pack". Et qui se soucie de savoir, quand il est lancé à ses trousses, si l'animal est un loup ou une louve ?

Musicalement aussi, La' Chat usait des ficelles de la scène de Memphis. Elle employait des motifs mélodiques courts, des ambiances sépulcrales, des refrains faits d'incessantes répétitions. Avec ses sons, avec ses textes, elle faisait tout exactement comme ses comparses. Même quand, enfin, La' Chat daignait parler de sexe, c'était d'une façon parfaitement symétrique aux hommes : "Slob on My Cat", en effet, répondait au "Slob on my Knob" de Juicy J. Alors que son comparse s'était imaginé en train de satisfaire deux femmes à la fois, elle décrivait comment deux hommes s'appliquaient à lui lécher l'arrière-train. Alors, évidemment, qu'une ancienne stripteaseuse devenue célèbre en faisant l'intéressante sur les réseaux sociaux ne vienne pas piétiner aujourd'hui les plates-bandes d'une pareille gorgone.

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