Big Beat / Atlantic :: 1996 :: acheter l'album
Avant les queues me faisaient peur,
mais maintenant j'y jette mes lèvres,
je manie ce truc comme une vraie chienne
Voilà donc (après une introduction où l'on entendait un homme se masturber devant un film X dont elle était l'actrice…), ce que Lil' Kim nous affirmait dès le premier vrai titre de Hard Core, le tube "Big Momma Thang", avec Jay-Z. Et tout était déjà dans ces quelques mots, sans doute les plus célèbres et les plus commentés de la New-yorkaise. Avec sa voix de jolie garce, elle nous parlerait de sexe, usant de la même rudesse que ses collègues masculins. Elle offrirait à ses auditeurs les poses lubriques et l'apparence aguicheuse qui les émoustilleraient.
Mais qu'on ne s'y trompe pas, Lil' Kim gardait la maîtrise absolue de sa sexualité. C'est bel et bien de ses fantasmes à elle qu'elle nous parlait sur "Dreams", en imaginant ses ébats avec les stars mâles du R&B. Sur "Spend a Little Doe", un récit de sa romance gangsta avec le désormais décédé Biggie, elle excluait l'amour du plaisir physique. Sur "We Don't Need It", femme et hommes du collectif Junior M.A.F.I.A. revendiquaient une pratique sans limite et sans discrimination du sexe oral. Et sur "Not Tonight", un hymne féministe au cunnilingus, dont une seconde version bénéficierait du renfort des femmes en vue du rap (Angie Martinez, Da Brat, Missy Elliott et Left Eye), le refrain affirmait crânement qu'elle ne voudrait pas manger de verge ce soir, mais plutôt qu'on lui dévore l'entrejambe.
Cette dimension hypersexuelle est, indubitablement, la grande contribution de Lil' Kim au rap, voire à la musique en général. Avec le succès considérable de ce projet (jamais un disque de rap féminin n'avait été aussi bien classé dans les charts), avec aussi cette réplique qu'aura été la sortie une semaine plus tard de Ill Na Na, le premier album de sa future rivale Foxy Brown, plus rien ne serait comme avant. Après elle, au-delà du seul hip-hop, il deviendrait plus commun, voire plus admis, d'entendre chez les chanteuses les pires insanités de caractère sexuel. Elles pouvaient désormais proclamer fort leur droit au plaisir physique et objectiver leurs partenaires masculins, alors que cela aurait été jugé infamant autrefois.
Il y eut aussi une autre avancée (ou reculade, si l'on suit le point de vue des réactionnaires qui s'ignorent), avec Hard Core ; une avancée annoncée par cette pochette qui, en plus de la posture suggestive de Lil' Kim, exhibait une débauche de détails (fleurs, champagne, peau d'ours, cheminée) qui sentaient bon le confort nouveau riche. La rappeuse proclamait en effet sa passion pour les diamants et les grandes marques, sur "No Time", en duo avec Puff Daddy, sur "Drugs" avec Biggy, sur "M.A.F.I.A. Land", et ailleurs encore. Ces envies de luxe et de volupté se traduisaient aussi par une ambiance soul / funk plus luxuriante qu'avec le rap de rue new-yorkais de l'époque, et par les vocalises R&B lascives de ses invitées.
En plus de sa surenchère pornographique, Lil' Kim franchissait une étape de plus dans l'avènement d'un rap hyper-matérialiste, que ses détracteurs qualifieraient bientôt de bling-bling et ses partisans de Ghetto Fabulous. La force de cet album, en fait, c'est qu'il assouvissait la soif de revanche de deux catégories autrefois brimées : les Afro-américains qui n'ont rien, et les femmes à qui a longtemps été refusé le contrôle de leur sexualité ; deux catégories auxquelles Lil' Kim appartenait, et qu'elle émancipait d'un coup sur ce disque en tout point historique.
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