L'avantage des mixtapes digitales, c'est qu'avec elles l'origine s'efface. Que leur émergence soit spontanée ou qu'elle résulte d'une habile stratégie menée en sous-main par l'industrie du disque (quelle importance ?), elles permettent à des personnes situées en marge des scènes les plus en vue de se faire un nom. Donavan Johnson, appelé XV en raison de l'âge auquel il a commencé à rapper, en est l'exemple même.

XV - Everybody's Nobody

XV vient de Wichita, dans le Kansas, un Etat semble-t-il dépourvu de tout rappeur, la scène importante la plus proche se situant à Kansas City, dans l'Etat limitrophe du Missouri. Et encore, même les grands noms de là-bas, Tech N9ne et ses complices de Strange Music, voire, plus obscur, Mac Lethal, ne sont pas à proprement parler des stars internationales.

Cependant, c'est par son partenariat avec un collaborateur de ces deux figures, le producteur Michael Summers, alias Seven, que XV se fait une place aux alentours de 2010. Par ce partenariat, et par son activisme sur le front des mixtapes. A partir du milieu des années 2000, il en sort plusieurs, avant de se faire remarquer par deux d'entre elles, en 2008 : The Square In The Circle, où figure Lil Wayne, et la pantagruélique 40 Days & 40 Nights, qui compile une série de 80 titres sortis auparavant sur sa plateforme MySpace sur une période de 40 jours, à raison d'un le matin et d'un le soir.

Et puis l'année suivante, XV enchaine avec ce qui deviendra sa sortie de référence, Everybody's Nobody, une mixtape parrainée par DJ Enuff et par DJ Benzi, où figurent Wiz Khalifa et Big Sean, et qui précède sa signature chez Warner.

La pochette n'est pas sans évoquer la trilogie scolaire de Kanye West. Et ce n'est pas tout à fait un hasard : XV évolue dans une veine voisine de ce dernier, une influence revendiquée. Dans celle, aussi, de Kid Cudi et, bientôt, de Drake. Comme eux, il arpente le versant pop du rap, le plus proche de la variété internationale, le plus ouvert aux influences exogènes (ce sample d'INXS sur "Undeniable", la musique électronique sur "Gobstopper"), le moins rétif aux refrains sirupeux, avec échos et jolies voix féminines, le plus prompt aux chansons d'amour, qu'il soit heureux ("Start A War") ou déçu ("Used To"), le plus ancré dans une soul rétro ("Used To", encore, et "In Due Time", avec la voix de Cee-Lo).

XV est, sur cette mixtape, le nerd à cartable vert qu'on y voit. D'un ton juvénile, il se présente comme un gamin souffrant de troubles déficitaires de l'attention ("A.D.D."), épris de jeux vidéos ("Mirror's Edge") et il s'identifie à Willy Wonka, de Charlie et la chocolaterie ("Gobstopper"). Il est travaillé par le doute ("Fall Out The Sky"), méfiant vis-à-vis de ce panier de crabes qu'est l'univers de la musique ("Bad News", "The Rabbit Hole") et perdu dans son monde propre ("Come Back Down"), celui de la planète Squaria, qui était déjà le cœur du sujet sur The Square In The Circle.

Il est le paria, le dysfonctionnel qui dénigre le conformisme de l'Internet 2.0 ("Everybody's Nobody"), rejette les illusions d'une existence parfaite en faveur d'une vie de jouissance et d'immédiat ("Life Vs Livin'") et nourrit un esprit revanchard ("Now Look"), soulignant sa nouvelle notoriété ("Blinded"), et aspirant à monter plus haut encore ("In Due Time").

Cette marche de plus, XV ne la franchira pourtant pas. Malgré les bons moments de cette mixtape (notamment sa fin, riche en chansons plus lancinantes et réflexives que les autres, comme "Life Vs. Livin'", "Now Look", "Me, You", et surtout "The Rabbit Hole"), en dépit de quelques autres sorties gratuites remarquées, Everybody's Nobody est demeuré le grand moment de sa carrière. Produit en partie par Just Blaze, son premier album, The Kid With The Green Backpack, ne sortira jamais. L'homme de ce nulle-part rap qu'est Wichita n'ira pas plus loin que son statut d'anomalie. Il n'aura plus amené grand monde sur Squaria. Il demeurera, comme tant d'autres, un simple rappeur à mixtapes.

Télécharger cette mixtape