Mathangi Arulpragasam est londonienne, d'origine sri-lankaise. Elle a fait une école d'art, et elle est apparue auprès d'une intelligentsia musicale issue de la brit pop des années 90 (elle fut un temps la colocataire de Justine Frischmann, ancien leader d'Elastica et ex de Damon Albarn). Sa formule est une actualisation pour les années 2000 du Sandinista du Clash, auquel elle a emprunté la rage punk, le tiers-mondisme, l'engagement politique et une volonté de précipiter dans un grand tout tous les genres musicaux imaginables. Autant dire qu'il est délicat de rattacher M.I.A. à la tradition hip-hop et, plus globalement, de cataloguer sa musique dans ce seul genre. Et pourtant, elle rappe, plus ou moins. Et elle pratique à outrance le recyclage et le sampling. L'Anglaise est aussi, quelque part, le chainon manquant entre Missy Elliott, un modèle avéré, et les travaux tardifs de Kanye West. Certains, en tout cas, lui attribuent une influence sur l'ouverture à d'autres genres, devenue une grosse tendance de fond dans le rap à la fin des années 2000.
Autoproduit :: 2004 :: télécharger la mixtape
Et comme nombre de rappeurs, M.I.A. s'est d'abord distinguée sur mixtape. En 2004, quand sort Piracy Funds Terrorism Volume 1 (il n'y aura jamais de Volume 2), elle n'est pourtant déjà plus une inconnue. Souvent citée comme l'une des premières célébrités à s'être fait un nom sur Internet, notamment via la plateforme Myspace (son réseau a dû aider, aussi…), elle a déjà attiré l'attention de l'industrie du disque. Cependant, son premier album peine à sortir, pour des questions épineuses de déclarations de samples. Aussi, avec le DJ américain Diplo, qu'elle a récemment approché dans un club londonien et qui l'aide à concoter son premier disque, décide-t-elle de sortir cette mixtape au titre ironique, et de se donner le droit de piller toute la musique qu'elle souhaite. Les deux compères la distribueront en édition limitée, mais celle-ci, par la magie du Web, se verra répliquée bien au-delà des quelques centaines de copies prévues au départ.
Entre les deux protagonistes, tout collerait si bien qu'ils seraient amants pendant plusieurs années. Diplo avait beaucoup en commun avec M.I.A. : doté de solides bases hip-hop (il a grandi en Floride, où il est devenu fan de la Miami Bass locale) mais, en tant que Blanc, ethniquement distinct de la communauté afro-américaine au centre du rap, il est devenu avec le duo Hollertronix le porte-voix d'un mélange festif de toutes les musiques. C'est par lui que M.I.A., à la base un pur produit de la branchitude londonienne, aura tant de visibilité en Amérique. C'est aussi grâce à lui, qui a sorti la même année la mixtape Favela on Blast, qu'elle deviendra l'ambassadrice internationale du baile funk, ou funk carioca, sorte d'homologue brésilien du rap né dans les bidonvilles de Rio. C'est de lui que viendront enfin les extraits les plus rap de Piracy Funds Terrorism, notamment cet emprunt au classique "Hip Hop" de Dead Prez (devenu "Pop"), les autres recyclages, très éclectiques, allant de LL Cool J à Lil Jon, en passant par Missy Elliott et par Clipse.
Rap, baile funk… Voici donc deux ingrédients fondamentaux à la mixtape, mais ils sont loin d'être les seuls : ici, on entend aussi du reggaeton et du dancehall, du grime, le rock symphonique de The Verve, et toutes sortes de world music et de sons électroniques. A une époque où sévit un important revival eighties, M.I.A. s'exprime aussi sur le "Walk Like an Egyptian" des Bangles, elle se fait Eurythmics sur "China Girl", et Prince sur "Baile Funk Two". Piracy Funds Terrorism, dont le principe fondamental est de poser les paroles de l'album en préparation sur à peu près tout ce qui bouge, est l'une des plus belles illustrations de ce qu'on peut faire en termes de mashup. Tout, aussi, décline à l'infini ce grand capharnaüm qu'étaient déjà "Galang" et "Sunshowers", les singles manifestes de la rappeuse, d'ailleurs ici présents, ce qui ne gâte rien, mais dans des versions remixées.
La suite, pour Diplo comme pour M.I.A., serait glorieuse. L'un confirmerait son rôle de prescripteur et de dénicheur de tendances, et il rencontrerait un succès considérable avec le projet dancehall électronique Major Lazer ; l'autre deviendrait une grande figure de la décennie 2000, tant pour ses partis-pris politiques (elle est la digne fille d'un militant majeur de la cause tamoule), que pour une carrière musicale qui nous apportera deux classiques au moins, Arular et Kala. M.I.A. concrétiserait en effet sur album, et sa mixtape en ferait les frais : elle serait reléguée dans l'ombre de ses disques officiels. Piracy Funds Terrorism, pourtant, mérite qu'on s'en souvienne comme la première pièce d'une trilogie essentielle.