Les CunninLynguists auront été, de plusieurs manières, un groupe à contre-courant, l'exception qui confirme la règle. Le duo, puis trio, a représenté le backpack rap dans un Dirty South qui lui était étranger. De manière anachronique, il a perpétué un hip-hop d'Atlanta remontant aux meilleures heures de la Dungeon Family, à rebours des vagues crunk, puis trap, qui allaient submerger la ville. Et il a connu un succès relatif à partir de 2006, aux alentours de leur troisième album, A Piece of Strange, au moment même où leur type de rap semblait avoir échoué dans les poubelles de l'histoire. Si bien qu'au terme de la décennie 2000, le groupe était fermement inscrit dans le paysage rap, il pouvait côtoyer des gens extérieurs à la veine indie rap à laquelle ils avaient été associés, et se joindre à la fête quand, à la fin des années 2009, les mixtapes avaient acquis un statut inégalé à ce jour.

CUNNINLYNGUISTS - Strange Journey Volume One

Bad Taste Records :: 2009 :: acheter la mixtape

Strange Journey Volume One a été la troisième des CunninLynguists, et la première d'une série qui comptera deux autres éditions. C'était aussi, pour de bon, une vraie mixtape à l'ancienne : un grand bazar, une compilation éclectique d'inédits, de morceaux live (l'excellent "Lynguistics", issu de leur premier album, joué en public à Stockholm), de remixes ("Dance for Me") et de versions augmentées ou réécrites d'anciens titres, comme le très bon "Georgia", où ils étaient accompagnés des affiliés à la Dungeon Family Killer Mike et Khujo Goodie, et "K.K.K.Y." avec Skinny DeVille et Fish Scales de Nappy Roots. C'étaient des morceaux où les rappeurs pouvaient s'exprimer seuls, ou bien convier, voire confier les commandes, à quelques invités, ceux déjà cités, mais aussi des figures du rap indé comme Mac Lethal et Slug, des proches ou anciens membres du groupe comme Tonedeff et Mr. SOS, ainsi que les Suédois de Looptroop Rockers.

Et pourtant, derrière ce grand foutoir, il y avait un concept, un thème général pour unir ces morceaux bigarrés : celui de la vie en tournée. Des interludes comiques faisaient allusion aux désagréments de cette existence sur la route, et plusieurs titres détaillaient cette expérience. "Don't Leave (When Winter Comes)" et "The Distance" étaient des complaintes sur l'éloignement et la vie de famille ratée qu'elle occasionne. "Nothing But Strangeness", au contraire, s'attaquait au sujet sur un mode humoristique, relatant des aventures bizarres survenues en marge des concerts. "Never Come Down" et "Hypnotized" parlaient de leurs à-côtés que sont la consommation de weed et les groupies. Et sur "Broken Van (Thinking of You)", les rappeurs s'adressaient à leur vieux van comme à leur maîtresse.

Tout cela ne faisait pas du premier Strange Journey une sortie aussi solide que les albums généralement très fignolés du trio. Mais comme on y trouvait encore les raps fluides de Deacon et Natti, qui basculaient avec naturel de l'humour à l'introspection, tout comme les beats aux petits oignons et de Kno, à mi-chemin entre mélancolie et légèreté, c'était toujours bien plus qu'un intermède récréatif.