Aujourd'hui, alors que coexistent plusieurs générations d'amateurs de rap, les vétérans n'ont jamais été aussi présents. Visez donc le ramdam autour du film Straight Outta Compton, et la couverture médiatique réservée au troisième solo de Dr. Dre. Même l'album le plus célébré de 2015, le dernier Kendrick, doit son succès au fait que cette jeune pousse s'adonne, pour une très large part, à du rap de vieux.
Pourtant le doyen ultime, le plus frais, le plus vivace et le plus truculent des anciens, ne vient pas de Compton. Non, le vétéran ultime du rap n'est autre que ce bon vieux "Kool" Keith Thornton, 52 ans, resté actif, prolifique et plus ou moins pertinent sur quatre décennies de rap, comme il le prouve une fois encore cette année avec Time? Astonishing!
Si Kool Keith est toujours d'actualité, ce n'est pas parce qu'il innove. Cette sortie, en effet, nous propose ce que le rappeur new-yorkais nous a déjà offert par le passé avec le projet Dr. Octagon et l'album Black Elvis / Lost in Space : une tournée dans le monde de la science-fiction, les délires d'un héritier de la grande tradition de l'afro-futurisme (à moins qu'il ne s'agisse de rétro-futurisme, le rappeur nous emmenant dans l'univers kitsch et daté de Buck Rogers, plutôt que dans une hard-science contemporaine à la Gravity).
La sci-fi est pour notre homme, une fois encore, un prétexte pour laisser libre cours à ses paroles extravagantes, une occasion de se livrer sans retenue à de géniales divagations.
Côté sons aussi, ça n'a pas grand chose de neuf, comme le sugère la sortie chez Mello Music, un label qui représente la tendance la plus fidèle au boom bap de l'ancien rap de backpackers. On retrouve ici plusieurs figures de ce mouvement d'un autre temps comme J-Live, Mr. Lif, MC Paul Barman, voire Blu, ou toujours d'actualité comme Open Mike Eagle.
Conçus par L'Orange, un natif de Caroline du Nord qui s'est distingué cette année par un album avec Jeremiah Jae, les beats usent d'une formule éprouvée, à base de boucles et de samples, pas bien loin de ce qu'un Madlib aime nous proposer. Ils accentuent aussi l'atmosphère rétro par du vieux jazz ambiance piano bar, et des extraits de films, BO, dialogues ou bruitages qui sentent bon la décennie 1950.
Le futur des deux hommes a donc des relents de passé. Kool Keith, toutefois, a toujours su se régénérer et retrouver de la fraicheur auprès de jeunes beatmakers en devenir. Il l'avait fait il y a 20 ans en s'acoquinant avec Dan the Automator et KutMasta Kurt. Et notre vieux rappeur noir y parvient encore avec ce jeune Blanc qui a eu l'étrange idée de prendre pour pseudonyme le titre d'une chanson de Gilbert Bécaud.
Les petits bijoux qui parsèment ce court Time? Astonishing!, comme l'aérien "The Traveler", le mélodique "Twenty Fifty Three", le single au piano virevoltant "The Wanderer", un "Dr. Bipolar" chargé de basses, témoignent tous de la vivacité toujours intacte du plus allumé, du plus inspiré et du plus éternel de tous les vétérans du hip-hop.
Fil des commentaires
Adresse de rétrolien : https://www.fakeforreal.net/index.php/trackback/2320