Umberto Eco l'a proclamé avec force dans plusieurs de ses écrits : l'innovation, la nouveauté, sont des préoccupations récentes. Leurs vertus sont toutes relatives. Ce que les gens apprécient, au contraire, c'est la répétition, c'est la rengaine, c'est l'éternel retour. C'est la déclinaison à l'infini des mêmes motifs. On l'observe dans le cinéma actuel, avec les suites et les remakes fréquents apportés aux grands blockbusters. On le voit aussi dans le rap d'aujourd'hui, avec la sortie continue de mixtapes, qui se soucient bien plus d'offrir aux fans ce qu'ils attendent déjà, que d'évolution artistique. Et le rappeur qui a compris le mieux ce mécanisme, celui qui en a usé avec le plus grand systématisme, c'est incontestablement Gucci Mane.
Autoproduit :: 2009 :: acheter cette mixtape
Prenons The Burrprint (the Movie 3D). Sorti en octobre 2009, ce projet a été le troisième volet de la série The Movie, entamée l'année d'avant sous l'égide de DJ Drama. Il a été aussi le troisième d'une suite de six mixtapes livrées par Gucci Mane dans cette moitié de l'année où il n'a pas été en prison. Et il bénéficiera lui-même d'une suite, The Burrrprint 2 HD, en 2010. Comme attendu, il nous révélait la recette éternelle, habituelle au maître d'Atlanta : du rap sexiste et matérialiste poussé au comble de l'absurde, délivré avec un phrasé indolent et métronomique, sur de petites ritournelles synthétiques, le tout avec un talent certain pour la formule humoristique choc et pour ces petites mélodies qui vous collent à la tête.
Cet énième avatar du style caractéristique à Gucci Mane, toutefois, a bénéficié d'un accueil particulier. Sorti l'année où le rappeur, désormais chez Warner, n'a jamais approché d'aussi près la reconnaissance et le succès public, celle aussi où il a contribué à lancer la carrière de ses protégés du 1017 Brick Squad, Waka Flocka Flame et OJ da Juiceman notamment, tous deux présents ici, The Burrprint (the Movie 3D) est souvent considéré comme l'une de ses toutes meilleures mixtapes.
En vérité, hiérarchiser les innombrables sorties de Gucci Mane n'a jamais été chose aisée, et cette année a été un trop grand cru pour affirmer trop vite que ce projet en a été le meilleur, mais il est vrai qu'il ne manque pas d'arguments. L'égo-trip farfelu de "Dope Boys", l'ode à la réussite matérielle qu'est "Yelp I Got Alot of That", ce "Foreign" avec Shawty Redd, le trompetant "Flexin'", un hymne collectif avec l'ensemble du Brick Squad, en font tous partie. Et dans l'ensemble, avec ses beats composés en majorité par le fidèle Zaytoven et par Drumma Boy, c'est toute la mixtape qui se montre plaisante, jusqu'à la foucade R&B de "More".
Dans l'un des interludes de la mixtape, Gucci Mane lançait une pique contre celui qui, en ce temps là, occupait encore le trône incontesté d'empereur du hip-hop : "première question, Jay-Z est-il le plus grand rappeur en vie ? D'après une étude, c'est un mensonge". Hâblerie ordinaire, de la part de l'homme d'Atlanta. Et pourtant, il avait tout à fait raison. A l'heure où le New-Yorkais était au faîte de sa gloire, Gucci Mane, avec son rap produit en série, inventait le futur. L'un tirait son prestige d'un héritage qu'il avait capté, celui du classic hip-hop new-yorkais des années 90, pendant que l'autre posait les fondations de la décennie à venir. Aussi, de l'année 2009, plutôt que The Blueprint 3, devons-nous retenir The Burrprint.
Fil des commentaires
Adresse de rétrolien : https://www.fakeforreal.net/index.php/trackback/2269