Buvez plus d'eau. Tel est le mot d'ordre étrange qui accompagne cette mixtape signée Jayson "Mick" Jenkins. The Water(s), en effet, a pour particularité de filer la métaphore aquatique. Sur le morceau du même nom, qui détaille le concept qu'il cherche à défendre, le rappeur affirme la supériorité de l'eau sur l'or, soit celui de la spiritualité sur le matérialisme, du mouvement sur l'inertie, de la pureté sur l'avilissement. Autrement dit, dans une ville connue aujourd'hui pour le nihilisme de Chief Keef et du mouvement drill, Mick Jenkins évolue à l'autre extrémité de la scène rap de Chicago, dans les pas de l'ancêtre Common et de son rap conscient.

MICK JENKINS - The Water(s)

Cinematic Music Group :: 2014
mickjenkins.com :: télécharger la mixtape

Tout, chez Mick Jenkins, le rattache à cette école. Après s'être fait connaître en 2013 par la mixtape Trees and Truths, puis par un single, "Crossroads", avec les deux artistes non-drill les plus en vue de Chicago, Chance the Rapper et Vic Mensa, ce rappeur déploie sur The Water(s) tout l'attirail de circonstance : le ton grave et sérieux ; le phrasé maîtrisé et sophistiqué ; les paroles imagées, pleines de métaphores et autres figures de style ; un homme qui prêche, qui pontifie et qui critique ces rappeurs stéréotypés qui jouent le rôle du criminel ; des collaborations avec quelques revivalistes notoires, comme Statik Selektah, qui produit "Black Sheep", et Joey Bada$$, qui vient rapper sur le morceau "Jerome" ; de manière constante et monocolore, des sons jazzy et cristallins, parsemés de délicats chants féminins ; et puisque l'on parle de jazz, un titre, "Jazz", justement, qui prend plaisir à citer les grands noms de ce genre ô combien respectable.

Oui mais voilà : ce morceau, "Jazz", est l'un des meilleurs titres de rap sortis cette année. Et il n'est pas un cas isolé. C'est en fait l'ensemble du projet qui se montre solide. Très homogène, peut-être même trop, quelques titres s'en distiguent toutefois. Outre "Jazz", "Martyrs" en est un. Sur une boucle de guitare, Mick Jenkins y questionne la violence suicidaire inhérente à son monde, le Chicago afro-américain, en s'appuyant sur un sample du "Strange Fruit" de Billie Holiday (et en doublant le discours d'une vidéo mettant en scène des hommes torses nus, avec des cordes de pendus autour du cou, allusion claire à Chief Keef et à l'imagerie drill). "Comfortable", "Vibe" et le suave "Drink More Water" sont aussi des temps forts. Et pour finir il y a "Jerome", un finale à contre-courant de la mixtape avec son orgues sombres et ses raps agressifs, tellement ravageur qu'on y apprécie la participation de cette plaie de Joey Bada$$. C'est dire à quel point, dans un registre pourtant si casse-bonbon d'ordinaire, Mick Jenkins a réussi sa mixtape.