La vogue des rappeurs déjantés. La rencontre entre les offenses issues de l'héritage gangsta, et les bizarreries et expérimentations d'un certain rap intello. L'expression le cœur à vif de ses tourments internes. Le brouillage sans cesse plus grand de la frontière entre albums et mixtapes. Le webmarketing intensif, et son rôle capital dans l'apparition de nouveaux talents. Et la tocade passagère pour les sons vaporeux du cloud rap. Toutes ces caractéristiques du rap des années 2010, un homme au moins en a été le précurseur. Ou en tout cas, il les a fièrement représentées. Cet homme, c'est Brandon McCartney, alias le BasedGod, alias Lil B.

LIL B - 6 Kiss

Il y eut plusieurs phases dans la vie du Californien. Tout d'abord, au début des années 2000, il participa à l'aventure The Pack, un groupe dans le style hyphy caractéristique de la Baie de San Francisco, qui fut parrainé par Too $hort, et eut un tube avec le titre "Vans". Et puis, à partir de 2010, il fut un personnage essentiel de la nouvelle génération hip-hop, suscitant l'intérêt des Pitchfork et compagnie, provoquant des polémiques en se fâchant avec d'autres rappeurs, et intitulant d'un osé I'm Gay sa sortie la plus attendue, la plus médiatisée à ce jour.

La période la plus passionnante de l'épopée Lil B, cependant, c'est peut-être bien 2009, l'année charnière de sa carrière, celle où il allait se réinventer et définir son personnage de gourou rap improbable, se livrant avec frénésie à l'ouverture de nouveaux sites Web, faisant part de sa philosophie de la vie dans un livre sur le mode "développement personnel" intitulé Takin' Over, et sortant les deux mixtapes de la révélation, I'm Thraxx tout d'abord, et puis surtout 6 Kiss.

La pochette de ce dernier aidait à situer le bonhomme : on l'y voyait vénéré par deux bitches admiratives, comme d'autres avant lui, mais aussi dépeint comme un saint, avec une auréole. C'est là, en effet, la grande originalité de Lil B, ce qu'il ajoute à toutes les caractéristiques énumérées plus haut : sa posture de chef de secte, ses enseignements pour une vie positive exposée sur disque comme dans son livre ; tout un esprit New Age, presque attendu, au fond, pour un natif de Berkeley, centre névralgique du mouvement hippy quelques décennies plus tôt.

Ce parti-pris, évidemment, allait se retrouver dans la musique, avec des titres dans le style ambient, certains produits par Clams Casino ("I'm God", "I'm The Devil", "What You Doin'"), celui qui allait devenir bientôt le héraut du cloud rap. Toutefois, la musique de Lil B ne saurait se résumer à ces voix féminines évaporées et à ces beats nimbés, dévoués tout entier à accompagner des paroles positives, elles-mêmes déclamées sur un mode pas très éloigné du spoken word.

Le rappeur-gourou prônant l'ouverture d'esprit, il applique ce principe à lui-même. Il fait, en effet, flèche de tout bois, s'exprimant tout autant sur de bon vieux samples soul ou R&B (façon chipmunk avec "Walk the World" et "What I Mean", ou plus normaux sur "Real Plexx" et "Rolls Royce"), que sur des rythmes électroniques très soutenus ("I Want Your Bitch") et tourbillonnants (l'interminable "I Got Bitches"), ou de gros monstres porno-gothiques ("Pretty Bitch", "Smoke Trees Fxxx Hoes"), parsemant son message de bonnes vieilles références aux voitures ("Rolls Royce"), à la drogue (la weed, bien sûr, sur le très bon "Let the Eagles Go"), aux homies ("Ridin' 4 My Niggaz") et donc, bien sûr, aux filles faciles (des "I Want Your Bitch" et "Pretty Bitch" pas piqués des vers, et tant d'autres).

Le BasedGod, dans sa grande bonté, offrait tout cela, sur cette œuvre longue d'une heure et demi, sur cet album (ou mixtape, qu'importe) exténuant, et pourtant le meilleur, sans doute, de sa production pléthorique. Il y affirmait sa démarche et son image, emblématiques de l'époque et annonciatrices des années à venir, mais aussi si spéciales, si singulières et si originales. Tellement à part.

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