Dans les années 2000, Factor produisait des albums à tire-larigot. C’était son grand mérite, mais c'était aussi son défaut. Le Canadien privilégiait parfois la quantité à la qualité. Il trouvait des boucles, il faisait des beats, mais il ne les peaufinait pas toujours comme le mériteraient les rappeurs souvent talentueux qu’il accompagnait. Red All Over cependant, l’un des quatre albums qu'il sortit en 2005, se distinguait des autres. Sur plusieurs de ses titres, Factor semblait transfiguré, il n'était plus ce vendeur de beats au mètre qu'il avait longtemps été.

NOLTO AND FACTOR - Red All Over

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Si l'album était réussi, c'était aussi grâce à son autre protagoniste. Comme ça, sur les photos, Nolto n'avait l’air de rien avec sa jolie tête de Blanc trop sage et sa coupe de cheveux à la Ramones. Ce n'était d’ailleurs pas un as du emceeing, un génie des mots, un adepte de l’exercice de style, du sens caché et des histoires à tiroir. Son style, caractérisé par des passages fréquents du rap au chant, était aussi lisse que celui de Factor. Ses récits étaient inspirés de sa vie de pauvre hère anonyme. Ils parlaient de ses amourettes, de sa bonne ville de Saskatoon, du fait de n’être qu’un humble travailleur. Pourtant, Nolto touchait souvent juste avec ses tranches de vie. Les titres les plus convaincants étaient d’ailleurs ceux où il s’exprimait seul. Factor, au fond, n’avait plus eu qu'à mettre tout cela en valeur.

Ce que le prolifique producteur n’avait pas toujours su proposer à des rappeurs venus de loin (et surtout de Californie), il l’avait offert à son copain Nolto. Signe du soin apporté à ce disque, Red All Over était un concept album. Il se présentait comme un journal, dont chaque titre était une rubrique. Si les premiers titres étaient plaisants, les choses sérieuses ne commençaient qu'avec la plage 5 : "Business" était l’histoire rigolote d’une embrouille avec une fille et son lourdaud de mec, contée sur une instru indolente et avec un refrain aux faux airs de "Penny Lane". Sur le tout aussi excellent "Religion", Nolto s'éprenait de son ange gardien sur fond d’orgue. Sur "Help Wanted", le sujet était la marchandisation de la société, et une guitare dénichée par Factor soulignait le propos avec adresse.

Et ce n'était pas tout. Il y avait aussi de convaincantes chansons d’amour heureux ("Wedding Announcements") ou malheureux ("Personal Ads"), une autre sur l’expérience de la mort ("Obituaries"). Et puis, en compagnie du voisin Soso, ce "Lifestyle / Entertainment" où il était question de ces échappatoires que sont l’alcool et le cinéma. Soient autant de réussites, qui faisaient oublier les quelques sons sans vie qu'avait longtemps affectionné Factor. A vrai dire, ils pointaient encore le bout de leur vilain nez, mais rarement, et de manière plus tolérable.