Patiemment, imperturbablement, l'éditeur Le Mot et le Reste poursuit son exploration méthodique de tous les genres musicaux imaginables. Après avoir épuisé le registre riche des musiques anglo-américaines, il s'aventure au-delà, et se penche sur la production de ce que l'on appelait autrefois le Tiers Monde. Ce fut le cas il y a quelques mois avec Africa 100. Ca l'est maintenant, grâce au même auteur, Florent Mazzoleni, avec Reggae 100, qui se penche sur le cas du petit pays le plus influent, musicalement parlant, de ces 50 dernières années : la Jamaïque.

FLORENT MAZZOLENI - Reggae 100

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Toute la Jamaïque. Et pas seulement à son style musical le plus éminent, connu et célébré, contrairement à ce que le titre laisse penser. Le reggae, bien entendu, est le mieux représenté dans ce livre. Il correspond à l'âge d'or de la musique jamaïcaine, au moment, les années 70, où elle s'exporte à l'international, où ses disques, après le succès spectaculaire de Bob Marley et l'intérêt des musiciens anglo-américains, ne s'adressent plus exclusivement aux locaux. Mazzoleni, cependant, dans son introduction comme dans sa sélection, aborde toutes les évolutions musicales traversées par l'île caribéenne à partir de son indépendance : ska, rocksteady, reggae (et ses divers sous-genres), dub, dancehall, raggamuffin.

Ce qui l'intéresse, c'est toute la production locale. Mais aussi, rien qu'elle. Si elles sont mentionnées, les branches du reggae à l'international ne sont pas couvertes par sa sélection : pas de star du reggae étrangère à l'île, comme l'Ivoirien Alpha Blondy ; pas de Jamaïcain dont la carrière s'est déroulée ailleurs, comme le poète dub Linton Kwesi Johnson ; pas d'expériences bâtardes conduites par des Occidentaux et des Blancs, de P.I.L. à The Bug ; pas de genre issu du terreau jamaïcain, mais apparu ailleurs, comme le reggaeton. Mazzoleni, et c'est un choix éditorial respectable, ne quitte pas les rivages de l'île, il ne franchit jamais la mer.

Son regard, pourtant, se porte parfois ailleurs. L'auteur parle souvent du dialogue entre la musique jamaïcaine et la black music du voisin américain. Il avance que, plus que du mento traditionnel, les genres antérieurs au reggae sont nés d'un contact avec la musique afro-américaine. Les échanges sont constants entre la musique née des champs de cotton, et celle des champs de cannes, d'abord quand la soul influence le rocksteady, puis quand la culture DJ, les toasters et les paroles salées des pionniers du dancehall impactent le hip-hop de manière décisive.

Il faut admettre qu'en Jamaïque, la production locale se suffit à elle-même. Avant de s'inquiéter de ses rejetons, il y a déjà beaucoup à dire à son sujet. Ce que Mazzoleni parvient à faire, dans les limites du format et de la sélection. Tous les grands classiques sont traités : le Catch a Fire de Bob Marley et des Wailers, les sorties solo de ces derniers, le Marcus Garvey de Burning Spear, le Funky Kingston de Toots & the Maytals, le Two Seven Clash de Culture, le Cool Ruler de Gregory Isaacs, le East of the River Nile d'Augustus Pablo, le Super Ape de Lee Perry, ainsi que la trilogie magique issue de son studio Black Ark et formée par le War Ina Babylon de Max Romeo, le Police & Thieves de Junior Murvin et le Heart of the Congos des Congos. Et à ces références évidentes, comme d'habitude avec les livres de la collection, s'ajoutent quelques trésors plus confidentiels, histoire de contenter tout autant les néophytes que ceux qui ont un premier vernis reggae.

En plus de la sélection, le contenu, aussi, est solide. Comme souvent avec ce format, l'introduction aurait méritée d'être plus longue, mais les présentations de disques sont denses à souhait. L'auteur réalise la prouesse de regrouper, en quelques lignes, une présentation de l'auteur et de son parcours, une critique du disque et de ses extraits les plus emblématiques, et quelques autres pistes d'écoute, avec une force de persuasion et un enthousiasme souvent communicatif.

Il n'y a au fond qu'un regret à avoir : prévenant d'emblée que son livre s'attardera principalement sur les années 70, le point culminant de l'histoire de la musique jamaïcaine, l'auteur ne traite que timidement de la période d'après, de l'ère du dancehall et du ragga. Passé le début des années 80, le livre fait même marche arrière : il revient vers les genres des années 60, le ska, le rocksteady, en citant des compilations et des rééditions. L'auteur ayant peu de choses à dire sur les dernières décennies de la Jamaïque, il s'en sert comme de bouche-trous.

On comprend que Florent Mazzoleni ne soit pas fan éperdu de dancehall, de son côté cheap et racoleur. On sait aussi que ce genre se préoccupe moins du format album que son ancêtre reggae, qui avait emprunté au rock son obsession pour les longs formats chiadés. Mais tout de même, sur ces 30 dernières années, l'île n'a-t-elle donc produit aucun disque de ce type qui vaille le coût ? Connaissant le pays, on imagine difficilement que le génie créatif de la Jamaïque se soit tari au point de ne plus laisser aux décennies 1980 à 2000 qu'une poignée de grands disques.