Avec le recul, on réalise qu'un critère simple permettait d'évaluer l’intérêt d’un album des Living Legends : le degré d’implication d’Eligh. Les meilleurs disques du collectif californien, en effet, portaient quasiment tous sa marque. Cela était vrai de ses solos, comme du très bon Justify the Mean$ (2002) de Luckyiam.PSC. Cela l'était aussi du dernier disque sorti par les 3 Melancholy Gypsys, l'un des deux trios à l'origine du collectif, dont il avait produit l’essentiel.
Il fallait surtout ne pas se fier à la pochette façon démo de rap français des années 90 : ce disque du trio Eligh / Murs / Scarub attendu de longue date était en fait excellent. Pas excellent selon les standards rap. Excellent tout court. Sur fond de thématique gitane (le nom du groupe, celui de l’album, l’extrait du "Gypsy" de Jose Feliciano en introduction, quelques accents musicaux orientaux pour évoquer la caravane), les trois rappeurs donnaient successivement dans un délire astrologico-mystique, dans l'histoire de cœur et dans la leçon de sagesse, comme sur ce mémorable "Chant" où ils nous présentaient le remède idéal aux revers de la vie. Et le tout était entonné avec un entrain rare.
Les sons aussi étaient à la hauteur. Alternant compositions soyeuses et synthétiseurs bondissants, comme souvent chez Eligh, ils étaient accompagnés d'astuces comme le refrain appesanti de "Young Man" ou le phrasé robotique de "The Plannit". Quelques productions un peu casse-pied traînaient ici et là ("3 Rings", "Countdown", "Nautilus"), mais on les oubliait quand déboulait un finale éclatant, suite exceptionnelle de quatre ou cinq morceaux dont un "Beautiful Mind" effectivement beautiful, un "Armageddon" dévastateur et un joli "Child 2 Man", où les trois rappeurs abandonnaient le micro à la voix apaisée de Mystic.
En 2002, dans une interview pour le webzine Hip Hop Section, Murs avait glissé l’information suivante : "le tout nouvel album des 3MGs devrait sortir pour l’automne ou pour août, il s’appelle Grand Caravan To The Rim of the World et ça sera le meilleur album que j’aie jamais fait…". Ce n'était pas de l'esbroufe, Murs avait parfaitement raison. Sauf sur un point : le disque a mis finalement trois années de plus à sortir. Mais peut-être ces longues années de gestation avaient-elles été la raison de cette réussite. Par l’intermédiaire de trois de ses membres les plus éminents, ce groupe abonné trop souvent aux productions inégales et bâclées avait sorti l’un des albums les plus remarquables de l'ère du rap indé.
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