En 2000, année faste pour la scène rap indé en général, et pour le collectif angelino en particulier, les Shapeshifters avaient pensé à tout. En plus d'un Know Future difficile à digérer, sorte de long posse cut de deux heures déclamé sur des beats informes par une palanquée de rappeurs (et malgré tout leur grande œuvre), les Californiens avaient sorti dans la foulée (sur un autre label, le Celestial de Daddy Kev), un Adopted by Aliens plus facile d'accès pour les néophytes.

SHAPESHIFTERS - Adopted by Aliens

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Comme l'imagerie Star Wars et Star Trek de la pochette l'attestait, cet album était fait dans le même bois que l'autre. Les Shapeshifters continuaient à acclimater les raps libres hérités du Project Blowed à la nerd culture, saupoudrant le tout d'une musique chaotique et de sons qu'ils avaient dénichés à l'autre extrémité du cosmos. Sauf que, sur cet album, certains de leurs titres prenaient la forme de vraies chansons, plutôt que d'interminables plages indistinctes les unes des autres.

Autant compilation que disque original, Adopted by Aliens recyclait "Brain Fish Oner" et "Beatle Borg", deux plages de Know Future respectivement renommés "Brainfish Reanimated" et "Beetleborg". Il en faisait de même avec "Mos Eisley", un morceau de leur premier album, Planet of the Shapes, et il reprenait aussi des extraits des EP 2012 et Triple Threat (le morceau-titre, ce "Strange Birds" d'essence old school, et ce "Mixtape Megamix" signé par Rob One, leur DJ disparu). Mais le tout était organisé de manière moins anarchique. Il bénéficiait d'un son de meilleure qualité, et il était agrémenté de scratches bien sentis.

Cet album presque normal serait la meilleure porte d'entrée chez les Shifters, avec ses petites mélodies, celles pondues par le précieux Omid Walizadeh sur l'introductif "Who's Got Presents?", par Fat Jack sur un "Wake Up Dead" où figurait Mikah 9 de Freestyle Fellowship, ou avec le piano qui accompagnait les rappeurs quand ils philosophaient sur la fuite du temps, sur "Words of Wizdumb". Accompagnés par la voix chaude et erratique d'Awol One ("Flossin'"), même les sons les plus obtus s'avéraient accrocheurs. Et il ne faut pas omettre de citer l'épique finale "Korn Bizkit", quand les Shifters tournaient en dérision le nu metal.

Sur Adopted by Aliens, seuls les délires sans fin de Circus étaient une épreuve pour les non-initiés. Il fallait avoir déjà goûté le reste pour parvenir à apprécier cela, puis pour passer à Know Future et pour comprendre enfin ce qu'était alors la formule des Shapeshifters : une réactualisation du hip-hop créatif, ouvert et exubérant du "Planet Rock" d’Afrika Bambaataa (dont les Californiens proposaient d'ailleurs une version pour 2012) ; et au-delà, la vraie musique de l'an 2000.