Après Odd Future, le Raider Klan. Après Tyler, the Creator, voici donc SpaceGhostPurrp. Le parallèle s'impose. Ceux-là ont beau être Floridiens plutôt que Californiens (en tout cas pour la plupart), voici un autre collectif tentaculaire qui s'est fait un nom sur le Web en multipliant les mixtapes enregistrées à l'arrache, mais à l'imagerie forte. Voilà une nouvelle sensation qui déborde les frontières du rap, au point d'être signée chez l'institution indie rock 4AD. Voici un disque qui, comme Goblin l'an passé, était attendu au tournant et suscite une pluie de critiques contradictoires, les uns adorant, les autres hurlant à la supercherie.

SPACEGHOSTPURRP - Mysterious Phonk

4AD :: 2012 :: acheter cet album

D'autres points communs relient les deux collectifs. Comme ses homologues de l'autre bout de l'Amérique, SpaceGhostPurrp allie le nihilisme et la provocation du vieux gangsta rap aux bizarreries de l'underground. Il donne dans la misogynie la plus crasse ("bébé, j'aime ton visage, tu t'en sers si bien, suce ma bite" sur l'élégant "Suck a Dick 2012"), en même temps qu'il explore des sonorités très âpres. Comme eux, il représente cette nouvelle génération d'Afro-américains qui, à l'ère Obama, ont abandonné le ghetto et ses préoccupations sociales, pour mieux explorer leur mal-être et leurs tourments internes de jeunes désœuvrés, gavés de drogues, de pop culture, de jeux vidéo, de pornographie et d'ennui.

Il y a cependant des différences. La plus évidente, celle qui unit l'ensemble du RVIDXR KLVN et ses affiliés, c'est cette passion pour le son noir et crade d'une époque qu'ils ont à peine connue, mais à laquelle plusieurs de leurs mixtapes font nommément référence. Ce sont ces emprunts à l'imagerie morbide du Three 6 Mafia et du Memphis rap d'il y a 15 ans ou plus, augmentés d'un soupçon de lenteur codéinée dénichée chez DJ Screw. Cette spécificité, SpaceGhostPurrp se l'approprie sur Mysterious Phonk. Mais il a aussi le mérite de l'affiner, de l'enrichir, de la personnaliser. Il y développe son personnage, sa voix, sa singularité.

Ce premier album a beau être, pour une bonne part, une compilation de titres issus de mixtapes, dégrossis et remixés, il est très consistant. Il démontre que le rappeur de 21 ans, auteur des textes comme des sons, a de la suite dans les idées. Tout du long, c'est la même atmosphère sépulcrale, opaque et claustrophobe, assez proche de celle du 4AD gothique des débuts, en fait ; une ambiance effroyablement poisseuse, rendue plus pesante encore par la présence récurrente de paroles répétées comme des mantras ("Bringing the Phonk", "Get Yah Head Bust", "Grind on Me", "No Evidence", "Don't Give a Damn", etc.), de douloureux cris de jouissance féminins et d'un style de rap tout en susurrements.

Aucun titre ne surclasse les autres. Seuls se distinguent "Mystikal Maze", "The Black God" et le bien nommé "Elevate", où le rappeur abandonne quelques temps les murmures pour un rap plus soutenu. Mais là est précisément le grand atout de ce Mysterious Phonk étouffant et hypnotique, qui ne révèlera sa saveur qu'à ceux qui se donneront la peine de s'y immerger : d'être ce qu'aucune sortie d'Odd Future n'a été, un bel objet, un vrai concept album, un disque à écouter et à goûter en entier, pour de bon, comme le rap sait si peu en faire. En plus peut-être, pourquoi pas, des premiers pas sous la lumière d'un futur grand du hip-hop.