Règle de base : au centre de toute polémique, se trouve fatalement un phénomène capital. Et en matière de polémique, Soulja Boy nous a servis. Avec son premier album, le rappeur d'à peine 17 ans s’est trouvé confronté à des torrents d’hostilité, à des critiques d’une violence inouïe. Quasiment toutes les chroniques écrites à son sujet ont été destructrices. Le vétéran Ice-T lui-même s’est acharné sur le jeune artiste, imité par Nas et Snoop Dogg. Et la page Amazon US du disque est aujourd'hui couverte de commentaires outrés et haineux.

SOULJA BOY - Souljaboytellem.com

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Qu’a donc bien pu reprocher la Terre entière au jeune DeAndre Cortez Way ? A peu près tout, en fait. D’avoir bâti sa notoriété sur Internet plutôt que dans la rue, grâce une danse absurde, le Superman, et à un look débile (voyez donc la pochette). D’avoir dégradé le hip-hop avec son party rap totalement vide de sens, dénué de toute virtuosité verbale. De ne proposer que des beats pauvres, tout en gimmicks synthétiques à peine bons à servir de sonneries de téléphone portable.

Mais alors, pourquoi donc s'en prendre aussi violemment à Soulja Boy, s’il était si mauvais ? Et bien, précisément, parce que le jeune rappeur avait cartonné en 2007, et cela, par ses propres moyens, grâce à un Web marketing maîtrisé et à cause d’un "Crank That" devenu numéro 1 aux USA, un tube dansant construit sur les claquements de doigt caractéristiques de la snap music, des steel drums caribéens et des "yooouuuuu !" braillés toutes les deux secondes. Avec une telle formule déclinée sur tout un album, la vieille élite rap frôlait maintenant la crise cardiaque, quelques années à peine après avoir déjà subi le crunk de Lil Jon.

Cependant, la masse de gosses et d’inconnus qui a porté Soulja Boy en triomphe, sur Youtube puis en CD, avait de bonnes raisons. Il suffisait de cesser de bouder son plaisir pour savourer ce "Crank That" en plus rock ’n’ roll qu’était "Snap and Roll", un "Yahhh!" où l’essentiel du propos était déjà dans le titre, un "Report Card" où le rappeur se désespérait de son bulletin scolaire et un "Don’t Get Mad" final nourri d’une production futuriste assez béton, tous parfaitement jubilatoires pour qui se dépouillait de ses vieux préjugés et acceptait de s’y soumettre.

Ce n’est pas un hasard si le vénérable critique rock Robert Christgau fut à peu près le seul à dire du bien de Souljaboytellem.com. Pour l’apprécier, il fallait en effet ne pas venir du rap, ou avoir fait une croix définitive sur le hip-hop virtuose des années 90. Hip-hop Is Dead, Nas avait intitulé son dernier album, quelques mois plus tôt. En effet, le hip-hop était mort. Le sien. Et celui de Snoop Dogg. Et celui d’Ice-T. Celui de Soulja Boy, au contraire, se portait à merveille. Merci pour lui.