Patiemment, Le Mot et le Reste poursuit son exploration de chaque genre musical. Après les livres sur le rock, la black music, le metal et le post-punk signés Philippe Robert, seul ou accompagné, après celui rédigé par Guillaume Kosmicki sur les musiques électroniques, le blues fait à son tour l’objet d’une anthologie, concoctée cette fois par Philippe Thieyre, disquaire, libraire et journaliste spécialisé.

PHILIPPE THIEYRE - Parcours Blues

Le Mot et le Reste :: 2011 :: acheter ce livre

Ce livre est construit sur le même mode que les précédents : d’abord, une introduction présente dans les grandes lignes l’histoire du genre ; puis plusieurs albums sont présentés, 150, pas moins, regroupées en cinq grandes périodes, du blues rural d’avant-guerre, à ses incarnations contemporaines, modernes et métissées, en passant par le blues urbain et par le British blues. Aussi, comme souvent dans cette collection, l’auteur s’est efforcé de mêler aux incontournables du blues (les Robert Johnson, Muddy Waters, John Lee Hooker, B.B. King et autres) quelques trésors cachés, et des coups de cœur un peu plus personnels.

Et tout cela, plus que jamais, se montre riche, complet et bien documenté. Aussi, loin de se limiter à un blues pour puristes, l'auteur a le mérite de citer des œuvres et des musiciens aux marges d’autres genres, le jazz, la soul, le rock et le hard rock bien sûr, ou encore le folk, rappelant, dans la droite lignée du fondamental Country de Nick Tosches, combien la séparation entre musiques traditionnelles noires ou blanches a souvent été, en Amérique, largement arbitraire.

Thieyre, donc, a fait le travail. Il livre un ouvrage de référence pour tout néophyte soucieux de se faire une culture blues. Et au final, il ne suscite que trois regrets. Le premier, tout petit, c’est de ne le voir faire référence qu’aux éditions vinyles et originales des œuvres citées, pour certaines épuisées ; ou bien, il le précise parfois, aux sorties spécifiques au marché français (autrefois, le contenu et les pochettes des disques pouvaient être différents d’un pays à l’autre). Aussi est-il parfois ardu, en particulier pour les artistes les plus anciens, de trouver le disque correspondant en CD, et de profiter pleinement des recommandations de l’auteur.

L’autre regret, mineur aussi, mais auquel on est très sensible sur ces pages, tient au diagnostic de l’auteur sur le déclin du blues auprès de sa communauté d’origine. Thieyre, en effet, se montre un peu court quand il cherche à expliquer pourquoi les Afro-américains d’aujourd’hui privilégient le hip-hop au blues. Il précise par exemple, par méconnaissance, que le rap "demande moins de temps d’apprentissage, moins d’investissement" (p. 294). Dans le même paragraphe, l’auteur précise aussi qu’il est plus facile de gagner sa vie par le rap que par le blues. Oui, certes, mais précisément parce que le rap parle davantage aux jeunes générations que le blues, un phénomène que Thieyre n’explique pas vraiment.

Pour une thèse plus convaincante sur les rapports entre blues et rap, il faudra donc plutôt se reporter vers Third Coast, de Roni Sarig, où l’auteur explique ce rejet du blues par son aspect misérabiliste, vrai repoussoir pour une communauté qui voudrait aujourd’hui exalter sa réussite et son émancipation par une musique fière et rutilante, plutôt qu’être confrontée encore à l’image d’un pauvre type chantant son spleen après une journée de labeur dans un champ de coton.

Thieyre, malheureusement, est superficiel. Il ne creuse pas ses thèmes, il ne se risque pas à défendre des points de vue. Et c’est précisément là le dernier défaut de ce Parcours Blues, le plus regrettable : ce livre est trop factuel, trop descriptif. Aussi chaque présentation d’album est-elle, avant tout, une biographie linéaire de l’auteur, davantage qu’un commentaire de l’œuvre. Cela en rend parfois la lecture aride. Trop souvent, du fait de cette démarche encyclopédique, il nous manque une mise en perspective, une opinion, des prises de position. Bref, une passion communicative qui aidera le lecteur à se positionner, qui l’incitera à se pencher de toute urgence sur tel ou tel bluesman, ou au contraire, à bouder tel ou tel autre.

Au travers de ce livre, on parle d’artistes assurément très différents, en termes de style, de notoriété, de conception, de thèmes. Malheureusement, tous ces articles se suivent et se ressemblent. Il est très rare que l’auteur défende ses avis, ses choix, qu’il leur donne corps. L’article sur Jimi Hendrix, où Philippe Thieyre explique pourquoi il considère que le chanteur et guitariste a sa pleine place dans une anthologie du blues, est un contre-exemple bienvenu. Cependant, immédiatement après, il revient encore à une sorte de fiche bibliographique.

Et le séquençage des articles n’arrange rien. Les albums ont été regroupés par époques, mais elles sont larges, et pour chacune, l’auteur a privilégié l’arbitraire de l’ordre alphabétique. Cela n’aide pas à distinguer les différentes nuances du genre, ni à comprendre pleinement les transformations du blues dans le temps. Ce Parcours Blues ressemble en fait à un dictionnaire, il ne raconte pas d’histoire. Mis à part les chouchous que Thieyre y défend, son ouvrage n'apporte rien de plus que ce que proposent déjà Wikipédia ou le All Music Guide. Excepté, bien sûr, le confort inégalable d’une lecture sur papier, en français, et à tête reposée.