On l'attendait avec impatience, cette nouvelle anthologie de Philippe Robert. Il ne l'avait pas annoncé, mais son existence coulait de source. Il était évident, vu certains choix dans ses livres précédents, que notre critique et érudit allait un jour consacrer un ouvrage tout entier à un genre qui le mérite, à ce folk prolifique, fertile et multiforme, qui plonge ses racines au plus profond des musiques traditionnelles anglo-saxonnes, et qui, de nos jours, se montre toujours vivace.

PHILIPPE ROBERT & BRUNO MEILLIER - Folk & Renouveau

Le Mot et le Reste :: 2011 :: acheter ce livre

Comme pour ses deux volumes sur le hard rock et le heavy metal, Philippe Robert a choisi de s'accorder le renfort d'un connaisseur, en la personne de Bruno Meillier cette fois. Et le résultat est exactement comme attendu, du Robert (et Meillier, donc) du meilleur cru. Comme ses autres livres chez Le Mot et le Reste, il brosse une histoire du genre et l'illustre à travers une sélection de plusieurs dizaines d'albums, étalés sur près d'un siècle, incluant figures de proue et artistes maudits, passant sans cesse de l'Amérique à la Grande Bretagne, ou vice-versa, abordant toutes les tendances, toutes les évolutions du folk, de Woody Guthrie et la Carter Family à Joanna Newsom et Alasdair Roberts, en passant par Bob Dylan (cité à deux reprises, ce qui ne choquera personne), Fairport Convention et Billy Bragg.

A nouveau, on retrouve ces présentations d'albums denses, riches, jaillissantes, remplies de tant et tant de références que les phrases semblent parfois s'allonger et s'éterniser, qu'elles en deviennent parfois même difficiles à suivre, en même temps qu'elles orientent le lecteur vers des dizaines d'autres œuvres, d'autres artistes, d'autres pistes. C'est à nouveau un ouvrage qui se lit très vite, mais qui cite bien assez de disques pour pouvoir se repaitre de folk pendant une vie entière.

Bref, c'est exactement ce qui était attendu, et on bataillerait sec pour adresser un reproche à cette dernière livraison. Quelques répétitions dans l'introduction, quand il est dit deux fois que Sandy Denny a collaboré avec Led Zep ? Des broutilles. Un manque de clarté quand on parle des racines du folk, et qu'on semble confondre le Sud américain et les Appalaches ? Là encore, pinaillage. L'éternel magistère du magazine Wire ? Mais il y a pire comme référence. La place surdimensionnée accordée à l'acid folk ? Mieux valait ça que du folk à papa qui sent la chaussette.

Peut-être alors, pouvons-nous regretter l'absence de références extérieures au monde anglophone, contrairement aux autres volumes, qui proposaient tous des sélections très internationales. Cependant, comme le souligne le sous-titre du livre, Une Balade Anglo-Saxonne, et comme les auteurs eux-mêmes le rappellent, le folk est un genre substantiellement anglais, américain, voire irlandais et écossais. Le folk des autres pays, sous ses formes brutes ou mutantes, c'est ce que d'aucuns ont voulu regrouper sous l'appellation fourre-tout de "world music".

Non, décidément, il y a peu à reprocher à ce livre. On notera juste qu'il laisse une question importante sans réponse : pourquoi donc le folk est-il increvable ? Pourquoi subsiste-t-il comme une tendance forte de la musique populaire ? Pourquoi se régénère-t-il mieux que ces musiques traditionnelles américaines plus momifiées que sont le blues et la country ? Oh, certes, il arrive parfois à ces deux genres de retrouver des couleurs, par exemple il y a 10 ou 15 ans, avec les disques de R.L. Burnside pour l'un, ou avec le retour d'un Johnny Cash cornaqué par Rick Rubin pour l'autre. Mais rien à voir avec l'extraordinaire pérennité de ce folk qui irrigue chaque décennie, même pendant le coup de mou des années 80, et qui fait encore l'actualité au XXIe siècle dans ses versions freak, psych ou weird.

Peut-être cette longévité est-elle due à l'adoption précoce du folk par les intellos et par Greewich Village, des gens qui avaient les moyens médiatiques et relationnels d'entretenir sa tradition, alors que le blues renvoyait à une image passée et dévalorisante de l'homme noir, et que la country, enferrée dans une imagerie de cow-boys, était devenue la musique des rednecks. Pas sûr, cependant, car ces styles là ont eu aussi, parfois, les faveurs des branchés… Alors pourquoi ? Cet ouvrage ne l'explique pas vraiment. Mais qu'importe. Exemples à l'appui, le livre, l'un des meilleurs d'une série pas loin d'être irréprochable, démontre la vivacité exceptionnelle de ce genre issu du terroir anglo-saxon, et c'est tout ce qui compte.