Le gangster originel. En effet, Ice-T a bel et bien été celui-là. Il a pour de bon évolué à proximité d'un gang, les fameux Crips de South Central, Los Angeles, le même d’où avait été issu Eazy-E. Et il a inauguré en Californie un style gangsta promis à un bel avenir, devenant pour le rap ce qu’Iceberg Slim avait été pour le roman, dépeignant, crûment, sans pudeur, avec fierté, et tout comme l’écrivain qui lui avait inspiré son pseudonyme, l’univers violent où il disait avoir grandi.
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Ice-T a été le premier vrai rappeur gangsta à l'Ouest, mais il était plus complexe que ses collègues. Il était dual, comme le montrait la pochette de ce quatrième opus, où il posait, à gauche, en costume d’hommes d’affaire véreux, et à droite, enchainé et en habits de malfrat, incarnant deux versions complémentaires du criminel. Californien, bien que né sur la Côte Est, il était direct et agressif comme N.W.A., mais il était engagé, aussi, comme Public Enemy. Rude, hors-la-loi, mais pas nihiliste pour autant, dispensant une sorte de morale de la rue, se posant comme la conscience du gangsta rap, Ice-T se situait pile entre les deux raps.
Soutenu par un funk martial et par des samples de heavy metal, il se targuait de son image de danger public. Mais aussi, il invitait à ne pas s’arrêter aux faux-semblants ("First Impression") et il avait des messages à transmettre : il rappelait que le crime avait des causes sociales ("New Jack Hustler"), qu’il n’avait d’autre issue que l’irruption des flics ("Midnight") et la prison ("The Tower"), et qu’il valait mieux s’efforcer de lui échapper ("Escape From the Killing Fields"). Il privilégieait le pouvoir des mots à celui des gestes ("Mind Over Matter"). Et si son verbe n’avait rien de châtié, il prétendait user du terme "salope" dans un sens plus subtil qu’il n’y semblait ("Bitches 2") et parait de fierté celui de "nègre" ("Straight Up Nigga").
Ice-T embrassait toutes les nuances du registre gangsta. Il allait même au-delà du rap, témoignant sur ce disque des deux autres carrières qu’il entamait alors : celle d'acteur avec ce "New Jack Hustler" qui était la bande-originale de son premier film (New Jack City) ; et celle de rockeur avec "Body Count", du groupe metal du même nom. Ce côté prolifique et boulimique, c’était d’ailleurs le seul défaut de ce disque épuisant de 70 minutes, de ces 24 titres qui pourtant, isolément, étaient quasiment tous des réussites, et qui marquaient l’apothéose d’Ice-T dans sa première incarnation, celle du rappeur sans concession, celle du gangster ultime.