XXX, l'album de l'exubérant Danny Brown, a été de manière justifiée l'une des sensations rap de la fin de l'année 2011. Cependant, déjà trentenaire, notre rappeur édenté avait eu une longue vie avant cela. Il avait sorti plusieurs mixtapes, collaboré avec quelques compatriotes de Detroit, J Dilla et Black Milk en premier lieu, proposé dès 2008 un premier album intitulé Hot Soup. Et surtout, en 2010, il avait été l'auteur d'un projet, The Hybrid, d'ores et déjà recommandable.
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Cet album, c'était la vraie naissance de Danny Brown, sa sortie de la confidentialité. C'est grâce à lui qu'il a été repéré puis signé par Fool's Gold. C'est ce disque où est mis en scène pour de bon ce personnage au look improbable et au timbre haut perché, nasal et cartoonesque. Par son seul titre, The Hybrid annonçait sa nature. Ce Black déglingué et dégingandé, en effet, était bel et bien cela : un hybride, la réconciliation en un seul homme de tendances contraires.
The Hybrid donnait dans le registre du rap "conscient" en même temps qu'il assumait tout le passif du gangsta rap, ses envies d'agression, son sexisme et son instinct territorial (l'hymne à Detroit "New Era"). Danny Brown y empilait punchline sur punchline, tout en ayant du fond et de l'épaisseur. Il prenait la posture du rappeur cérébral et expérimental, sans cesser pour autant d'assumer l'héritage du cocaine rap, consacrant une bonne partie de ses paroles à son amour des drogues, avant, au contraire, de dénoncer les addictions aux médicaments sur "Generation Rx" ou à l'alcool sur "Drinks On Me". Sur ce dernier titre, il commettait même l'exploit de nous faire compatir à la douleur d'une femme au bord du gouffre, tout en déclarant de manière éhontée profiter de sa situation tragique.
Notre hybride mélangeait des paroles clownesque à d'autres, plus graves, comme la suite de drames contée sur "Guitar Solo", ou bien comme cet "I'm Out", produit par Chuck Inglish des Cool Kids, où il revenait sur la mort d'un ami d'enfance. Il rendait compte sur un mode corrosif de la pauvreté ordinaire, sur l'ironiquement nommé "Thank God". Il se montrait fantaisiste, mais il savait aussi ramener sur terre ceux qui avaient apprécié le film Juno, en leur présentant avec son titre du même nom une vision plus rude et moins romancée du statut de fille-mère.
Et au niveau des beats, notre hybride conciliait également les contraires. Il nous offrait des sonorités totalement obtuses, dès l'introductif et robotique "Greatest Rapper Ever", mais sur un vieux fond boom bap, mêlant l'étrange au familier comme plus personne ne l'avait fait depuis le Wu-Tang (auquel ressemblait d'ailleurs la boucle de "Re-Up") ; une collection de titres tous différents, avec des boucles épurées, des pianos démembrés, des solos de guitare, des synthés psychédéliques, produits à chaque fois par un beatmaker distinct, mais qui, en dépit d'une fin un peu mollassonne, sonnait comme un album consistant, comme la première grande œuvre d'un homme amené à en enregistrer quelques autres.