Quels qu'aient été l'impact et la qualité des premières sorties de Nas, du Wu, de Pete Rock ou de qui que ce soit d'autre, personne n'a consacré de façon aussi éclatante le renouveau du hip-hop new-yorkais que Biggie, personne ne l'a rendu aussi visible auprès du grand public. Enorme, au propre comme au figuré, ayant eu une existence brève digne d'une tragédie grecque, incarnant tous les mythes du rap (le gangster devenu superstar, le rappeur mort par balles, la rivalité East Coast / West Coast), notre homme a tout embrassé, et ce dès son premier album, le seul qui soit sorti de son vivant.
L'atout de cet opus intitulé de manière prémonitoire Ready to Die, c'est de tout contenir. On y entend le son du rap new-yorkais, noir, sobre et agressif, mêlé d'accents jamaïcains sur "Respect". Mais on y trouve aussi la musique plus rutilante des branleurs californiens, que Notorious B.I.G. bat à leur propre jeu, le g-funk, sur le single "Big Poppa".
Il nous raconte des amours de gangster macho ("Me & My Bitch"), il nous propose des chroniques de rue brutales où transparait son vécu d'ancien dealer, ainsi que des histoires de vol à main armée ("Gimme the Loot"), mais sur un ton juste et désenchanté (les admirables "Things Done Changed" et "Ready to Die"), Biggie pointant du doigt les dangers de cette existence ("Warning") et se démarquant subtilement de la glorification par le gangsta rap de la vie criminelle.
L'album passe d'une ambiance sinistre et dépressive, au sex rap ("One More Chance"), puis à des morceaux plus rayonnants comme "Juicy", où il annonce le rap de parvenu des années futures. Des titres durs en côtoient d'autres, séducteurs et grand public, soufflés par ce Sean "Puffy Combs" qui vient de faire de Notorious B.I.G. son poulain. On nous raconte beaucoup d'histoires, mais il y a aussi du style battle sur "Unbelievable", et avec Method Man sur "The What".
Malgré la variété de ces titres enregistrés à différentes phases de la vie de Christopher Wallace, de la galère des débuts au moment où le futur Diddy l'a pris en main, cet album est uni par un concept. Commençant par une naissance, il se clôt par un "Suicidal Thoughts" où le rappeur met en scène un suicide, celui qui le tentait déjà sur "Everyday Struggle".
La cohérence de Ready to Die repose aussi sur la personne même de Biggie, sur ce rappeur charismatique qui, avec son timbre d'ours obèse, peaufine l'art du storytelling et parvient comme personne à magnifier n'importe quel beat, du plus pauvre au plus copieux, du plus austère au plus clinquant.