En 1991, avec son premier album, Del tha Funky Homosapien a rappelé qu'il existait une autre voie que le gangsta rap pour les Californiens, une voie bientôt suivie par ses amis des Hieroglyphics. Et deux ans plus tard, 93 'till Infinity enfonce le clou avec ses beats aériens, ses rimes complexes, ses paroles sans outrance, étonnamment matures de la part de rappeurs alors très jeunes. A pas même 20 ans, A-Plus, Phesto, Opio et Tajai, membres comme Del des Hieroglyphics, livrent un disque qui demeure le meilleur du collectif. Dès la basse énorme et le saxophone fou de "Let’ em Know", les Souls of Mischief donnent le ton. Comme leurs homologues de la Côte Est, les quatre garçons d'Oakland donneront dans un jazz rap subtil, mais avec un surcroit de fantaisie, une pincée de folie maitrisée qui font une grande différence.

SOULS OF MISCHIEF - 93 'til Infinity

Leurs compositions usent à la perfection de ruptures et de variations (ce piano qui surgit au début de chaque strophe de "Live and Let Live", les multiples surprises qui émaillent "Anything Can Happen"…). Déclamés dans un style battle, alternant ego-trip et attaques contre les mauvais rappeurs ("MC's should know their limitations", répète Del sur le refrain de "Limitations"), leurs vers jouent à merveille des assonances, notamment sur ce modèle du genre qu'est "That's When Ya Lost". Audacieux, ils piochent dans un vocabulaire improbable, avec des phrases façon "mindless spineless vertabraetless with menengitis" ("Never No More").

Tout cela est différent du rap West Coast habituel. Pourtant, l'univers gangsta n'est pas si loin. Les Souls of Mischief en relatent les vicissitudes sur un mode souvent humoristique ("What a Way to Go Out", "Anything Can Happen"), ils y jettent un regard juste et perspicace sur l'excellent "Tell Me Who Profits". Ils traitent aussi des thèmes de la rue ("Live and Let Live") et du sexe ("A Name I Call Myself"), mais avec des textes alambiqués, malins, avec subtilité.

Alors, qu'a-t-il manqué à un disque aussi proche de la perfection ? Un tube peut-être. Il n'y en a pas vraiment sur cet album. Toutefois, il y a plus fort encore, il y a le morceau éponyme, "93 'till Infinity", l'un des plus incroyables jamais proposé par le rap, avec son instrumentation évanescente et ses cuivres aigres, avec ces samples extirpés de plusieurs moments d'un même morceau du jazzman Billy Cobham, avec ce beat idéal pour aborder le sujet du titre, l'art de prendre du bon temps. Jamais titre, jamais album, n'ont aussi bien été nommés. Car depuis 1993, et jusqu'à l'éternité, ce classique certifié n'a pas perdu grand-chose de sa saveur.

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