Quand il est question de citer le meilleur Mike Ladd, c'est bien souvent Welcome to the Afterfuture qui l'emporte, ou bien le Gun Hill Road des Infesticons. De prime abord, ces deux disques semblent plus audacieux que le tout premier album du rappeur, producteur et universitaire, issu de la scène slam du Nuyorican Poets Café. Ils sont aussi plus variés, leurs accroches sont plus visibles. Comparé à eux, le lymphatique Easy Listening 4 Armageddon semble en retrait avec son ton apaisé, avec son flirt prononcé avec l'ambient, le jazz d'ascenseur et, oui, l'easy listening. Pourtant, il est sans doute celui qui a le mieux passé l’épreuve du temps.

MIKE LADD - Easy Listening 4 Armageddon

Scratchie Records :: 1997 :: acheter cet album

Dans un genre, le spoken word, où le pire nous a bien souvent été proposé, Mike Ladd a dépassé la concurrence, il s'est montré le véritable héritier de Gil Scott-Heron, l'exemple rarissime d'un poète rap engagé, mais qui n'oublie pas l'ironie, la distance, le second degré, comme le prouve cet "I’m Building a Bodacious Bodega for the Race War" qui aborde par l'humour la très délicate question raciale.

Qui plus est, il a toujours su accompagner ses mots de l’ambiance de circonstance, allant bien au-delà des recettes habituelles du hip-hop pour peaufiner sa science des beats, ce qui n’a rien d’étonnant pour un homme qui est aussi passé par la case punk, et qui se montrera plus tard capable d’exercer ses talents de beatmaker avec des artistes aussi divers que Yo La Tengo et… Enrico Macias !

Mike Ladd n'a jamais oublié que la poésie rap se passait difficilement d’une musique solide, et ses accompagnements, quoique suaves, évanescents, tout en touches délicates, lignes de basse souples, samples discrets et effets vocaux ingénieux (cf. "Kissin' Kecia"), étaient sur ce premier album tout ce qu'il aurait toujours fallu au spoken word : ce n'était pas des beats bêtement fonctionnels qui transformeraient le propos en de longues déclamations arides ; mais ce il n'y avait pas non plus d'effet bulldozer qui ferait oublier que l'essentiel est dans les paroles.

Ainsi la version laid-back de "Blade Runner" présente ici s'avère-t-elle plus digeste que celle, revisitée, de Welcome to the Afterfuture (malgré le renfort de Company Flow sur cette dernière). Ainsi encore le son de "Off the Coast of Okrakoke" sert-il magnifiquement les paroles hallucinées de Mike Ladd. Ainsi, toujours, "Easy Listening 4 Armageddon", le morceau-titre, se montre-t-il badin comme il le faut pour habiller cette longue dissertation humoristique sur une apocalypse qui nous était prédite pour l'an 2000, et à laquelle cet album a, lui, parfaitement survécu.