Oubliez les Joey Starr, Akhenaton et autres, qui se sont illustrés dans les années 90. Le personnage du rap français, c'est Booba. C'est lui qui en est la vraie star, par ses frasques, par sa vie digne d'un film hollywoodien (de la prison pour braquage de taxi, sa famille kidnappée contre rançon), par son physique body-buildé, et surtout, par ce flow si caractéristique de mauvais garçon postillonnant.

LUNATIC - Mauvais oeil

45 Scientific :: 2000 :: acheter cet album

Toutefois, bien avant que le rappeur des Hauts-de-Seine ne s'installe dans le paysage médiatique, il a dû comme tout autre conforter sa crédibilité auprès des fans purs et durs. Ce sera fait via le duo Lunatic, en se faisant remarquer par Cut Killer, en côtoyant La Cliqua, en joignant les collectifs Beat De Boul puis Time Bomb, puis en sortant un premier album sur un label, 45 Scientific, créé pour l'occasion. Et c'est ce Mauvais oeil, première sortie indépendante devenue disque d'or en France, qui lancera la carrière de Booba. De Booba, et de nul autre.

Moins charismatique, moins distinctif, cantonné au registre du chialeur des cités, Ali fait en effet figure de faire-valoir sur ce seul album officiel de Lunatic. Plus politique, plus prêcheur que Booba, moins intime, égotiste et viscéral, il n'a pas la même force. Et il en est de même pour les producteurs. Même s'ils sont parfois plus soignés que la moyenne des beats de hip-hop français, ceux-là ont pour seul but d'installer les ambiances lourdes et poisseuses de circonstance. Ils sont là, sans surcroit de sophistication, pour accentuer les paroles par un brin d'emphase.

Des paroles qui se montrent elles aussi très noires. Elles sont tout en aspérité, explicites et directes. Y est prise sans fard une posture de racaille, y sont relatées des expériences de la vie carcérale ("La Lettre"), proclamé avec insolence un idéal de vie où shit et violence ont leur place ("Si Tu Kiffes Pas"), affirmée une identité de métèques avec quelques autres compères des Hauts-de-Seine ("92 I").

Avec 10 ans de retard sur eux, Booba et Ali descendaient la même pente que les rappeurs gangsta américains : plutôt que de nier ou de défier les clichés sur le rap des cités, ils les portaient, ils les revendiquaient, avec un ton pessimiste qui s'inspirait davantage de Mobb Deep et des rues froides de New-York que du soleil californien. Et comme de l'autre côté de l'Atlantique, ce hip-hop n'en était que plus mordant, sublimé en sus par le rap d'un Booba clairement au-dessus du lot.