Digable Planets, le trio composé de Butterfly, Ladybug Mecca et Doodlebug, n'aura pas survécu bien longtemps, mais il aura fait carton plein. Les seuls albums qu'auront enregistré ensemble ces trois rappeurs new-yorkais sont tous deux des classiques, deux sommets d'un jazz rap nonchalant, raffiné, et nettement engagé à gauche. Ces deux disques, toutefois, n'étaient pas tout à fait les mêmes.

DIGABLE PLANETS - Blowout Comb

Pendulum :: 1994 :: acheter ce disque

Porté par l'irrésistible single "Rebirth of Slick (Cool Like Dat)", Reachin' demeure l'album le plus accessible de Digable Planets, l'un des plus emblématiques de la fusion jazz et hip-hop qui, en opposition au gangsta rap, battait son plein autour de 1993. C'est pourtant le second, un très travaillé Blowout Comb, qui remporte l'adhésion des puristes. Limitant l'usage des samples, poussant au bout de sa logique l'alliance entre le rap et le jazz, le trio y avait convié de "vrais" musiciens, par exemple Donald Harrisson, d'Art Blakey & The Jazz Messengers. Et il y livrait des compositions plus complexes et délicates, plus longues aussi, certaines dépassant allègrement les 5 minutes et s'offrant le luxe de quelques solos.

Les trois rappeurs affermissaient aussi leur crédibilité hip-hop, mise à mal par leur succès crossover et le gain d’un Grammy Award, en dévoilant un phrasé plus maitrisé et plus acéré que sur le disque précédent, où se distinguait plus que jamais la voix féminine de Ladybug. Toujours aussi cultivés et politisés (la première plage portait le nom d'un mouvement insurrectionnel chinois...), ils poussaient plus avant la rhétorique pro-black, ils célébraient davantage encore la communauté afro-américaine, jusque dans le choix du nom de l'album, celui d'un produit de beauté autrefois prisé par les Noirs. Enfin, ils invitaient d'autres grands noms du rap, Jeru the Damaja et Guru, à chroniquer la rue et à célébrer le quartier d'où ils provenaient tous, un Brooklyn qu'ils citaient à outrance.

Sur Blowout Comb, Digable Planets semblait vouloir garantir son intégrité et démentir son statut de groupe de rap pour ceux qui n'aiment pas le rap, refusant cette fois la facilité de refrains trop accrocheurs. Et c'est en effet sur la longueur, au fil des écoutes, que l'album dévoilait son goût, en jouant de ce contraste entre la gravité des propos et cette tonalité légère, fluide et douce, présente tant dans le phrasé des rappeurs que dans cette musique tout en saxophone, guitare ou vibraphone chaleureux. C'est par cette saveur aigre-douce, représentée entre autres par ce "Dial 7 (Axioms of Creamy Spies)" en partie chanté, qui se montrait très mélodique, en même temps qu'il était un pur manifeste de fierté black.