Longtemps éclipsé par le matérialisme éhonté d’un hip-hop racoleur, revoici donc le rap politique. Non, pas le conscious rap, posé et moralisateur, cet héritier des traditions prophétiques des musiques noires défendu hardiment par Common Sense, the Roots, Black Star et consorts. Mais bien le rap hargneux, pro-black et revendicateur qui fit florès à la fin des années 80. Signe des temps et du chemin parcouru ces dernières années, c’est sur Loud, une major bien connue pour sa "thug attitude", qu’il réapparaît sous la houlette du duo Dead Prez : les "présidents morts", tout un programme.

DEAD PREZ - Let's Get Free

SticMan et M1, les deux protagonistes, n’y vont pas avec les gants. Leur premier album, Let's Get Free, aligne critiques sociales et dénonciations politiques avec une fureur peu entendue depuis l'archi-classique du genre, le It Takes A Nation Of Millions To Hold Us Back de Public Enemy. Les thèmes ont quelque peu changé depuis 1988, mais la virulence et la pertinence du propos sont bel et bien les mêmes.

Ici ("'They' School"), Dead Prez s'attaque à l'eurocentrisme et à l'inadaptation du système scolaire. Là ("Police State"), il s'en prend à la bureaucratisation aliénante de l'Etat. Ailleurs ("Behind Enemy Lines"), c'est le système carcéral qu'il critique. Et ainsi de suite sur la rafale des huit premiers morceaux, avant de passer à des messages plus constructifs et optimistes : parti-pris anti-misogyne et activisme végétarien.

Peu concernés, les Européens plutôt pâles que nous sommes pourraient aisément faire l’impasse sur un tel brûlot. Mais ce serait faire fi de sa solidité musicale. Car Dead Prez a le mérite de remettre sa sauce politique au goût du jour, à coup de touches gothiques à la RZA ("The Pistol", morceau caché après trente plages vides), de recyclage électro façon rap d'Atlanta ("I’m A African", et le single "Hip-Hop", déjà un classique) et de R&B tout à fait digeste ("Propaganda").

Dead Prez ne sombre pas dans le tout pianos-et-violons employé à outrance par le rap d’aujourd’hui. Le duo affiche même une prédilection bienvenue pour les flûtes ("Behind Enemy Lines", "We Want Freedom", "Happiness") et les guitares accoustiques ("Assassination", "Mind Sex" et le superbe "Be Healthy"). De quoi garantir à Let's Get Free la solidité et la diversité qui font les grands albums. Black is beautiful.

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