C'est marrant, les goûts, les modes et les couleurs. Regardez Public Image, par exemple. Après que le groupe ait montré la voie, après avoir incarné le futur du rock, non, mieux que ça, l'après rock, après avoir été au comble du succès critique à la fin des années 70, ils étaient tombés en désuétude au fil de la décennie suivante. Les tendances changeant, les générations se succédant, ils étaient devenus le souvenir d'une époque révolue, leur son semblait daté. Avant que les très revivalistes années 2000, finalement, ne leur restituent leur prestige d'antan.

PUBLIC IMAGE LTD. - Public Image (First Issue)

Virgin :: 1978 :: acheter ce disque

Dans son livre Rip It Up and Start Again, Simon Reynolds s'attristait sur le sort d'un John Lydon qui, à la fin des années 80, en était revenu à la case Johnny Rotten, il regrettait que cet artiste éminemment crédible quand il avait défini le post-punk, soit redevenu le pantin braillard que les Sex Pistols avaient révélé. Mais ce qui, pour l'influent critique anglais, semble une régression, n'était pas injustifié. Au terme de ces mêmes 80's, le tribunal du temps faisant son œuvre, on en était venu à se demander si, malgré les audaces et l'impact d'un Metal Box, Never Mind the Bollocks n'avait pas été, finalement, le vrai grand album du chanteur.

Puis les années 2000 sont arrivées, et avec elles un revival post-punk grâce auquel une jeune génération à redécouvert PIL comme au premier jour. Ce revival a aussi réveillé les souvenirs d'une critique qui, à l'époque, à l'image de Reynolds, avait connu ses premiers émois avec le groupe. Et, les chefs d'œuvre se redéfinissant et s'évaluant sans cesse à la lumière du goût et des influences du jour, les trois premiers albums de Public Image Ltd. on été sanctifiés de nouveau.

Enfin, les trois premiers, pas tout à fait… Contrairement à Metal Box et à Flowers of Romance, aujourd'hui canonisés, le premier PIL pose encore problème. Il avait été étrillé à l'époque par une bonne part de la critique. Et, contrairement à ce que pense le commun en pointant ses fréquentes erreurs d'appréciation, celle-ci n'a pas toujours tort. Cette First Issue est bien ce disque sans cohérence, cet album transitoire où la promesse de rupture avec le punk n'était pas tout à fait tenue.

Côté changement, il y avait ces photos façon Vogue, qui prenaient le contrepoint du punk, et de son culte du laid. Il y avait cette basse prépondérante, jouée par ce non-musicien qu'était Jah Wobble. Il y avait, sur "Theme" notamment, les compositions torturées de Keith Levene, ce guitar hero pour l'ère punk. Il y avait, parfois, une lourdeur à l'opposé des tempos frénétiques du punk. Et puis, surtout, on découvrait en fin de disque ce fameux "Fodderstompf", à l'origine un morceau gag, mais dont le disco mutant, les "we only wanted to be loved" beuglés d'une voix de clown par Jah Wobble et la ligne de basse monstrueuse, annonçaient le vrai son PIL, celui qui arrivera à maturité un an plus tard sur Metal Box.

Mais, avec les guitares mordantes de First Issue, avec ce chant agressif et fielleux, plus déclamé que chanté, avec le punk rock en règle de "Public Image", "Low Life" et "Attack", le divorce avec les Sex Pistols n'était pas consommé. Sur les deux versions de "Religion", leur ex-chanteur renouait avec sa posture d'antéchrist avec une charge sans demi-mesure contre les hypocrisies du catholicisme.

L'outrance restait son terrain privilégié, comme le montrait "Annalisa", l'histoire de cette adolescente autrichienne morte après s'être crue possédée par le Diable. Et si John Lydon semblait tourner sa haine contre lui-même plutôt que contre la société ("Theme"), le ton et l'offense étaient les mêmes qu'en 1977. Ne manquaient que cette distance, ce cynisme, cette ironie, qui avaient été le point fort de Lydon version Johnny Rotten, un manque qui confirmait la critique la mieux fondée des détracteurs du groupe : à savoir que Public Image Ltd, avec cet album, comme avec les suivants, c'étaient les punks qui avaient pris la grosse tête.