Quand il s'agit de décider quel disque de Kate Bush a été le plus accompli, lequel est sa grande œuvre, The Sensual World se fait souvent coiffer au poteau par l'ambitieux Hounds of Love. En comparaison, celui-ci paraît plus apaisé, plus pop, presque plus anodin. Même s'il a bénéficié d'un succès critique et public appréciable, il est dans l'ombre de son très prisé prédécesseur.

KATE BUSH - The Sensual World

N'empêche, s'y retrouvent tous les ingrédients qui ont fait de Kate Bush cette chanteuse capable de synthétiser nombre de traits contradictoires, cette artiste unique, pleinement intégrée à la vieille aristocratie rock issue des années 60 et 70, mais associée dans le temps à l'ère new wave et prisée par ses plus éminents représentants, John Lydon en tête ; cette femme mature, adulte, mais à fleur de peau, aux limites même, parfois, de l'hystérie ; cette personne portée sur les expérimentations de studio et sur les références savantes et littéraires, mais très populaire, en France tout du moins, et dans sa Grande-Bretagne d'origine ; cette héritière tardive du rock progressif avec ses compositions audacieuses et surchargées, avec cette surproduction, avec ses moments de pompe et de mélodrame, avec ses instruments bavards, mais capable de rendre fluide ces chansons exubérantes, de les faire couler de source.

Avec son brillant premier album, The Kick Inside, et avec Hounds of Love, The Sensual World est l'un des disques où Kate Bush a le mieux réalisé cette synthèse. Comme par le passé, elle se distingue par des thèmes inhabituels dans le rock. Sur "The Fog", elle décrit les premières brasses d'un enfant. Sur "Heads We're Dancing", elle s'imagine en train de danser avec un homme charmant qui, in fine, se révèle être Adolf Hitler… Et "Deeper Understanding", prémonitoire, décrit quelques années avant l'ère d'Internet un individu reclus chez lui et ne communiquant plus qu'avec son ordinateur. Et bien sûr, il y a encore des références littéraires, comme avec ce "The Sensual World", où elle réécrit un extrait du Ulysse de James Joyce.

A cela, s'ajoute un ton plus apaisé que sur l'album précédent, plus… sensuel, justement. Et, dans l'esprit d'une époque où l'on voit Paul Simon, Peter Gabriel, voire les Pogues, user de world music et de folk traditionnel, Kate Bush a convié le Breton Alan Stivell à quelques tours de chant et de harpe, des instruments du folklore irlandais accompagnent "The Sensual World", et le Trio Bulgarka contribue à trois titres, dont un "Rocket's Tail" d'anthologie où les chœurs des Bulgares se mêlent à un solo de guitare hargneux, pour un exercice d'équilibriste qui, chez tout autre que Bush, aurait été douteux, mais qui fonctionne ici à plein régime, qui parachève ce The Sensual World, dernier des plus grands disques de la fantasque chanteuse anglaise.

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