Quand il est sorti, The Colour of Spring a cartonné. C’est d’ailleurs l’album de Talk Talk qui s’est le mieux vendu, aidant le groupe à négocier le budget déraisonnable qui lui permettra d’enregistrer plus tard le chef d’œuvre Spirit of Eden. Oui mais voilà, plus de vingt années ont passé, et depuis, le troisième album du groupe paraît pris en tenaille. Il est le disque charnière, celui pile à mi-chemin entre le Talk Talk populaire et néoromantique de The Party’s Over et de It’s my Life, et le Talk Talk expérimental et évanescent de Spirit of Eden et de Laughing Stock.

TALK TALK - The Colour of Spring

Le temps d’un album, se mélangent les deux facettes du groupe, les deux grands moments de la carrière de Mark Hollis et des siens. The Colour of Spring propose encore les singles attendus par le grand public, des "Life’s What You Make It", "Give It Up" et "Living In Another World" attirants. Mais sur une bonne partie du disque, le tempo se ralentit, les plages s’allongent, les formes se brouillent, l’orchestration devient plus complexe, les instruments se font plus divers (orgue, piano, mélotron, harmonica, harpe, flûte, etc.), des curiosités font leur apparition, comme les chœurs d’enfant de "Happiness Is Easy", et ceux, vaporeux et accompagnés de flûte, du somptueux "Time It’s Time". Surtout, avec la beauté fragile d’un "April 5th" quasi ambient et du jazzy "Chameleon Day", Mark Hollis et le producteur Tim Friese-Green, l’autre membre capital du groupe, font bien plus qu’annoncer les aventures futures : ils y sont déjà.

Les paroles aussi, deviennent abstraites. "Happiness Is Easy" et les singles sont autant de mots d’ordre, d'impératifs, de leçons de vie. Mais les titres les plus éthérés et étirés abritent des textes plus allusifs, personnels et sentimentaux, dont on ne fait que deviner le sens : la fin d’un orage amoureux ("Chameleon Day"), la joie d’un amour fugace ("April 5th"), l’être aimé que l'on ne comprend plus ("Living in Another World"), une liaison qui s’éteint ("I don’t Believe in You").

Certes, la beauté évaporée des albums suivants, puis du solo de Mark Hollis, ne domine pas encore celui-ci. Mais avant d’être l’album charnière de Talk Talk, et celui qui aura rendu possible la réalisation matérielle du suivant, The Colour of Spring est un autre des excellents disques du groupe, l’une de ces œuvres rares et précieuses où la pop est encore de la pop, mais où elle commence à prendre une tournure suffisamment étrange pour contenter des esprits blasés.

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