Downlow / Arcade :: 1996 :: acheter ce disque

Passons vite sur l’histoire que nous raconte ce concept album divisé en quatre parties, une pour chaque face de sa version double-vinyle : il y a 7 777 ans, sur la planète Regus 10, les Scientists of Sound diffusent sur les ondes radio des musiques illicites. Condamnés pour cela, on les exile sur l’astéroïde Rula Pent-A, dont ils s'évadent. Puis ils débarquent sur Terre où, tout d’abord dispersés, ils prennent le rôle de sages et de prêcheurs, avant de se regrouper à Londres. Tout ça est intéressant, ludique, et apporte un côté comics sympa à 1.4.4 or Bust. Mais là n’est pas l’essentiel. L’essentiel, c’est dans la musique qu'il se joue.

Pour être honnête, cet album n’est pas le chef d’œuvre qu’on aimerait tant qu’il soit. Deux maladies bien connues le rongent : comme la plupart des albums des années 90, contraint par la longueur du format CD, il n’échappe pas au syndrome du remplissage ; comme beaucoup de disques hip-hop, il souffre aussi d’une abondance déraisonnable d’interludes. Toutefois, à de multiples reprises, son rap hardcore et brinquebalant impressionne. Quelques titres, comme "19th Degree ", prennent l’allure d’un boom bap de bon aloi. D’autres sont de convaincantes décharges d’agressivité. Ainsi de la rythmique énorme et des flows postillonnant de "What’s the Reh Reh ?", du beat minimal et martial de "Stormtroopers", d'un "Battle Style Galactics" tout en cuivres carillonnant, et du refrain implacable d’un "Landmine Situation" pourtant plus apaisé que les autres morceaux.

Mais c’est dans ses passages les plus bancals, anarchiques et approximatifs que l’album impressionne le plus, quand les Scientists of Sound saupoudrent les mêmes "ooh" ou "eeh" féminins sur plusieurs titres, de façon inattendue ; quand ils nous surprennent avec les changements de direction de "P.O Tally Ho!" ; quand, sur le beat d’une lenteur et d’une pesanteur extrêmes de "Bournville Peacocks", ils font intervenir un orgue mortuaire et le chant féminin halluciné de Stacey Phillips. Ce sont ces assemblages improbables, ces constructions instables, c’est ce rap sale, ténébreux et instinctif qui fait effet ici. C’est cela qui est bon.

Malheureusement, le groupe se séparera et leur album n’aura pas de postérité visible. Si l’on exclut un remix du maxi culte "Tried by 12" de l’East Flatbush Project, et si quelques uns, comme Cherok, semblent toujours actifs, les Scientists of Sound ne marqueront pas durablement les esprits. Un coup d’œil au All Music Guide, par exemple, et on les voit tout juste listés, sans détail, dans la rubrique ambient techno… Dommage pour ce disque estimable, sorte de chainon manquant entre le Wu-Tang Clan et Company Flow, arrivé via l'espace jusqu'à Londres.

PS : cette chronique doit beaucoup à celle écrite en 2000 par DJ dEtEcT, à cet endroit, laquelle s’inspirait d’une autre parue plus tôt dans le fanzine The Truth. Désormais, c’est à vous de prendre le relai, et de maintenir en vie le souvenir de cette petite perle hip-hop anglaise mal taillée, mais précieuse.