En ouverture de son premier album, le duo Black Sheep explique son nom en précisant que ces membres tardifs des Native Tongues, arrivés à New-York de leur Caroline du Nord natale pour joindre leurs forces à De La Soul, à A Tribe Called Quest et aux autres, sont en quelque sorte le mouton noir de la fameuse confrérie. Pourtant, difficile de faire plus conforme aux particularités du célèbre collectif hip-hop qu'A Wolf in Sheep's Clothing : sons légers, globalement jazzy et funky, mais capables d'aller bien au-delà du spectre des musiques noires et, parfois, de plaire aux college radios ; profusion de samples ; bon esprit et sens critique ; et surtout, paroles malines, usant et abusant d'un humour au soixante-dixième degré.

BLACK SHEEP - A Wolf in Sheep's Clothing

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Et en la matière, Dres et Mr. Lawnge en connaissent un rayon. Ironie, parodies, auto-dérision, esprit potache, toutes les formes de comique étaient déployées sur leur premier album. Ça commençait d'ailleurs fort avec "U Mean I'm Not", un pastiche gangsta rap où, sur un beat funky rêche, un Dres furieux nous contait le meurtre d'une sœur qui, malencontreusement, lui avait chipé sa brosse à dent...

D'autres thèmes étaient passés au même crible, comme l'afro-centrisme ("Are You Mad?"), ou le sexe ("La Menage", avec Q-Tip). Ailleurs, Black Sheep s'en prenait à un féminisme obtus (l'interlude "L.A.S.M."), aux chauffeurs de taxi ("Go to Hail"), aux pièges de la célébrité ("Gimme the Finga") ou aux filles qui profitent des lumières trompeuses des stroboscopes pour se mettre à leur avantage ("Strobelite Honey"), tout cela de manière tellement drôle et subtile qu'on se demande souvent si c'était d'eux ou des autres que les deux de Black Sheep se moquaient.

Black Sheep maniait avec autant de réussite le non-sens, le goût de l'absurde et des curiosités, jouant à faire rapper des chiens "Similak Child", s'essayant à un beatboxing bizarre ("Blunted 10") ou se lançant dans une chanson faite toute entière de "fuck you" ("For Doz That Slept")... Tout ceci, cependant, n'aurait pas eu la même efficacité si Mr. Lawnge ne proposait pas en plus des beats futés, purement Native Tongues, certains, irrésistiblement groovy, se destinant à la danse (le remix funky de "The Choice is Yours", et "Strobelite Honey", évidemment), d'autres se montrant plus posés ("Similak Child", qui samplait habilement le Jefferson Airplane) ou joliment légers ("Flavor of the Month").

Avec toutes ces qualités, et même si le groupe, après un second album décevant sorti trois années plus tard, n'a pas connu la postérité de De La Soul ou d'A Tribe Called Quest, malgré aussi des longueurs vers la fin, ce disque des moutons noirs n'avait nullement à rougir d'une comparaison avec les réjouissants 3 Feet High & Rising et People's Instinctive Travels... proposés par leurs voisins de bergerie.