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SIMON REYNOLDS - Rip It Up And Start Again

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SIMON REYNOLDS - Rip It Up And Start Again

En 1978, deux ans seulement après sa naissance, un seul après son explosion médiatique, le punk était déjà mort. Toutefois, même si elle refermait une page marquante de l'histoire du rock, cette fin ouvrait une nouvelle ère plus riche encore, et plus créative. Tel est l'argument que Simon Reynolds, critique émérite, connu pour avoir inventé le terme de post-rock et pour un ouvrage dédié à la rave culture, développe dans son Rip It Up And Start Again. Derrière ce titre pioché chez Orange Juice, se cache une histoire détaillée de cette époque bénie qu'a été l'après-punk, l'une des plus passionnantes qu'aient traversée les musiques actuelles, second âge d'or pour le rock britannique après l'ère pop des années 60.

SIMON REYNOLDS - Rip It Up And Start Again

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Si tous les livres sur la musique étaient aussi brillants que celui-là, nous ne lirions plus que cela. D'abord, il est clair, limpide et bien organisé. Après avoir introduit son sujet, après avoir précisé ce qui, à son sens, définissait le post-punk, genre flou et nébuleux par excellence, Simon Reynolds s'embarque dans une description minutieuse de chaque scène, de chaque sous-genre né à la suite ou en réaction au mouvement qui a embrasé le rock en 1977, que ce soit le rock engagé de Leeds, l'indus de Throbbing Gristle ou les iconoclastes américains à la Devo et Pere Ubu. Ce faisant, l'auteur maintient un équilibre délicat entre érudition et vulgarisation. A chaque chapître, il se concentre sur deux ou trois groupes clés, dont il retrace la carrière, avant de glisser quelques noms supplémentaires (sans tomber toutefois dans l'excès du name-dropping) pour ceux qui voudraient creuser le sujet.

Pour mieux capter ses lecteurs, Reynolds sait également scénariser son propos. Il fait du propre dans ce jaillissement chaotique et désordonné de musiques, de mouvements et d'expériences qui a succédé au punk, il cherche à en dégager les grandes tendances, pour mieux nous raconter une véritable histoire. Cette histoire, qu'il sépare en deux grandes parties, raconte la grandeur et la décadence d'un genre qui a voulu s'émanciper du rock, le dépasser, le détruire, avant d'être rattrapé par celui-ci au milieu des années 80, dans l'un de ces mouvements de balancier que n'a cessé de connaître cette musique tiraillée entre underground et grand public, entre audace et accessibilité, entre modernité et post-modernité.

A mesure qu'il décrit des artistes, Reynolds commente aussi leurs albums clés, parfois sur plusieurs paragraphes. Il le fait avec l'enthousiasme et la ferveur du passionné, mais sans perdre ni tête froide, ni esprit critique. Il n'oublie pas de signaler les malentendus, les échecs, les préjugés ou la naïveté de certains artistes, le décalage entre leurs ambitions et leurs réalisations. Il rappelle par exemple à quel point les morceaux de Throbbing Gristle, dans leur volonté d'aller au-delà de la musique, de viser l'inédit et l'innovation pure, finissait par reproduire des schémas constants et prévisibles. Il montre à quel point le projet de Joy Division a été détourné et sublimé par les manipulations de Martin Hannett. Etc...

Simon Reynolds n'oublie pas non plus de contextualiser. Il décrit l'environnement où chaque scène, chaque mouvement, prend naissance. Il insiste à plusieurs reprises sur l'atmosphère lourde et apocalyptique qui régnait à la fin des années 70, en ces temps de crise, de désindustrialisation, de résurgence de la Guerre Froide, et de Révolution conservatrice avec l'avènement de Thatcher et de Reagan. Mais dans Rip it Up..., le contexte politique et social n'est présent que pour expliquer la musique, pas le contraire. Le rock, la pop, les musiques actuelles (appelez-les comme vous le souhaitez) sont ici un objet digne d'étude. Reynolds ne partage pas le mépris qu'ont eu à son égard certains même de ses acteurs clés, Malcolm McLaren par exemple, qui, en pur produit des écoles d'art, se montrait convaincu que l'intérêt du punk et de ses suites ne pouvait qu'être extra-musical.

Reynolds, enfin, ne se contente pas de relater des faits. Rip it Up est un vrai livre d'historien, qui s'interroge sur les sources profondes du post-punk. A l'instar d'un Tocqueville, quand il affirmait que les réformes de la Révolution étaient déjà en gestation dans l'Ancien Régime, l'auteur rappelle que le post-punk était une suite du rock progressif, l'ennemi par excellence du punk primitif, mais un rock progressif débarrassé de son emphase et de ses prétentions symphoniques.

Véritable livre d'histoire, cet ouvrage cherche à défendre une thèse, celle selon laquelle le post-punk, recherche effrénée d'innovation, négation des racines américaines du rock, s'opposerait violemment à un punk de nature essentiellement réactionnaire et revivaliste, qu'une fois passée la frénésie de 1977, une fracture béante séparerait les puristes issus des milieux populaires aux jeunes artistes avides de nouvelles directions, qu'une haine commune des hippies et de l'intelligentsia rock avait artificiellement fédéré. Tel que Simon Reynolds nous le présente, le post-punk serait le contraire du punk, plutôt que son prolongement.

Mais les thèses sont faites pour être contestées. Et contestable, celle-ci l'est, indubitablement. Reynolds a bien fait d'articuler son livre et son propos autour de la carrière de Public Image Ltd, car cette opposition entre un punk conservateur et un post-punk audacieux s'applique avant tout aux deux groupes successifs de John Lydon. La fracture est nette entre les Sex Pistols et PIL. Mais il n'est pas certain qu'elle puisse s'appliquer avec la même netteté à tous les groupes post-punk.

Pour appuyer son propos, l'auteur est contraint de faire une démonstration par les extrêmes. Il oppose par exemple l'imagerie fifties des Ramones à la démarche très arty des Talking Heads. Mais quid des autres artistes phares du CBGB qui, de Patti Smith à Suicide, ou de Blondie à Television, couvrent à peu près tout le spectre qui sépare les deux premiers cités, et qui s'avèrent bien moins punk-rock que, disons, Wire ou le PIL du premier album. De même, Reynolds met en exergue l'aspect funky de la musique d'Orange Juice pour les arrimer au post-punk. Mais le groupe d'Edwyn Collins est d'abord celui qui annonce la vague indie revivaliste de l'indie rock, de ces C86 et consorts qui, selon l'auteur, mettra un terme à l'ère post-punk.

De même, le Clash, qu'il considère comme le groupe revivaliste par excellence, est aussi celui qui a proclamé le célèbre "No Elvis, Beatles or the Rolling Stones in 1977". Par la suite, le groupe contredira ce mot d'ordre, par sa musique et en recyclant une pochette d'Elvis sur London Calling (laquelle choquera surtout les puristes punks, d'ailleurs), mais cette phrase fameuse montre que les punks s'attaquaient dès le début aux bases du rock, et pas seulement à sa phase hippy. Suicide à l'inverse, que Reynolds qualifie de post-punk bien qu'ils l'aient précédé, mariaient futurisme et revivalisme en emmenant Elvis Presley dans des virées électroniques. De fait, le portrait idéal-typique du post-punk que fait Reynolds ne correspond qu'au seul PIL. Et encore, essentiellement à celui de l'album Metal Box.

A bien des égards, la continuité est plus forte que la rupture : l'idée de table rase était déjà constitutive du punk, le post-punk, plus royaliste que le roi, ne faisant que la pousser à son paroxysme en se l'appliquant à lui-même. Pour les artistes dont Reynolds retrace la carrière, qu'ils aient été ou non actifs avant le punk, pour les maisons de disque aussi, 1977 a été l'élément déclencheur. Le fait majeur, c'est l'effet désinhibant que le punk a provoqué sur tous ceux qui, à une époque où le rock s'était professionalisé autour d'une aristocratie post-hippy, ne pensaient pas pouvoir prendre part à la fête. Pour les groupes de l'après-punk aussi, tout a débuté en 1977, comme Reynolds en témoigne, à plusieurs reprises, par exemple en citant ces mots de Terry Hall des Specials : "Before the New Wave happened it was just unthinkable to do original songs. It wasn't until the Sex Pistols came along that you realized that you could get away with doing your own songs".

Reynolds dit, en gros, que les groupes post-punk devaient au punk sa frénésie, sa sobriété, son amateurisme et son côté instinctif, mais qu'ils ne voulaient aucun retour au rock originel. Cependant, le propos pourrait être inversé, qu'il serait tout aussi pertinent : les groupes post-punk ne voulaient pas revenir au rock, mais ils avaient appris du punk la frénésie, la sobriété, etc... Et c'était là l'essentiel.

De fait, ce qui sépare le punk du post-punk n'est pas plus grand que ce qui sépare tous les sous-genres dont traite Reynolds. Des clivages aussi décisifs que la fracture entre revivalistes et innovateurs séparaient en fait les artistes de l'après-punk : pur esthétisme contre activisme politique ; culte de l'underground contre aspiration à la célébrité ; musique cérébrale contre musique pour danser ; démarche anti-musicale contre volonté de faire oeuvre ; recherche d'une musique purement blanche contre fascination pour le jazz, le reggae, l'Afrique, etc.

Reynolds ne nous parle pas du post-punk au sens strict du terme. Son histoire est celle de tout l'après-punk et des mouvements antagonistes qui y sont apparus, de ce déchainement créatif désordonné qu'il cherche à rendre intelligible et à classer par ordre chronologique, même s'il est conscient du côté illusoire de la démarche ("Periodization is always a tricky thing when it comes to culture", dit-il page 391). Mais en faisant abstraction de la première étape, 1977, il se met dans la situation cocasse d'un historien qui, traitant de la Révolution Française, détaillerait la Terreur, le Directoire et l'épopée napolénonienne, mais ferait l'impasse sur 1789.

L'auteur a de bonnes raisons de procéder ainsi. D'abord, avant la parution de son livre, la période 1976-77 était déjà ultra-documentée, de même que tout ce qui a trait au punk-rock comme genre musical défini. Les mythes apparus en ces années ont été largement intégrés par une critique rock encuirée légitimiste et nauséeuse. Récemment encore, le 26 août dernier, la chaîne Arte diffusait un documentaire infâme sur l'explosion punk qui reprenait tous les poncifs rock'n'roll habituels sur la rebellion et sur la fureur des guitares. Rien d'étonnant à ce que Simon Reynolds ait voulu s'opposer à ce discours médiatique tout aussi écoeurant que dominant, et réhabiliter des années 80 trop longtemps considérées comme honteuses.

L'autre raison de cette impasse sur le punk originel est à chercher dans la biographie de Reynolds. Il l'expose clairement au début de l'ouvrage : lui-même est passé à côté de 1977. Il ne s'est éveillé qu'un an plus tard au grand chambardement provoqué par le punk. C'est donc en toute mauvaise foi qu'il décide de débuter son récit avec PIL et de relater une époque sous le prisme de sa propre expérience, définissant comme post-punk tout ce qu'il a aimé de cette période, comme le montre cette conclusion conjuguée à la première personne, où il exprime sa nostalgie pour cette époque où la musique avait changé sa vie, et où il se flatte de voir des résurgences de l'après-punk dans les musiques actuelles.

Mais nul n'est obligé d'avoir eu la même expérience musicale. Personnellement, c'est dix ou quinze années plus tard que j'ai découvert d'un seul tenant les Ramones, les Pistols, le Clash, Patti Smith, Blondie, Television, les Stranglers, les Buzzcocks et X-Ray Spex, certes, mais aussi PIL, Joy Division, The Fall, le Gang of Four, les Talking Heads, Magazine, Suicide, Wire, etc... et je n'ai alors fait aucune différence. Pour moi, tout cela était également jouissif et s'était influencé mutuellement, cela n'était qu'un seul moment de l'Histoire du rock, qui englobait dans un même élan le punk, le post-punk, tous les mouvements décrits par Reynolds, puis d'autres qu'il ne fait que mentionner, dans un seul grand ensemble.

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