Avant Workin’, son meilleur disque, Nobs avait sorti deux albums : Typical Hip Hop Shit, sa première sortie chez Fingerprint Records ; et Musicide, plus tôt encore, chez Three Sides of a Circle. Ce n’est d’ailleurs pas un hasard si ce nouvel artiste est apparu sur le label de Brad Hamers, tout juste quelques mois après le disque de son groupe Phlegm, le prometteur One Night Stands… Musicide affichait le même rap à vélléités poétiques, les mêmes confessions intimes sur fond de beats tristounets, le même parti-pris arty, la même influence surréaliste dans les illustrations de la pochette (même si on penche ici vers Tanguy plutôt que vers Dali).

NOBS - Musicide

Les musiques respectives de Brad Hamers et de Nobs n’allaient atteindre leur meilleur niveau que deux années plus tard. Mais déjà, elles sonnaient comme un manifeste, une revendication, comme le paroxysme et la version la plus extrême d’un genre apparu dans la foulée d’Anticon et qu’on pourrait appeler emo rap. Sur les 64 minutes de son disque, Nobs prenait la pose du Penseur, front appuyé contre le poing, tous les malheurs du monde sur les épaules. Dès la première plage, il donnait le ton, commençant par s’interroger sur l’objet, le sens et le bien-fondé de son disque ("Either Or") avant de conclure par un "félicitations client, tu viens d'acheter une lettre de suicide. Sincèrement. Personne de spécial". Pas de doute. Tout de suite, ça met de l’ambiance… La suite était une litanie d’épanchements divers et variés : retour sur un amour raté ("Right Foot Blue"), propos d’avant suicide ("Salmonella Last Supper", avec Brad Hamers), réflexions sur l’alcool ("Diseased You") ou sur le réconfort apporté par la présence d'une mère ("The Strained Voice"), et plus généralement, constat de la mocheté du monde.

Qu’il apprécie ou non ce terme idiot, Nobs est "emo". Mais il n’oublie pas pour autant d’être rap. Les conclusifs "Salmonella Last Supper" et "Exit Stage Left" mis à part, Musicide n’est pas un de ces disques folk rap qui fleuriront dans les mois à venir. Le rappeur ne se met jamais à chantonner d’une voix chialeuse. Certes, son style de rap n’en met pas plein la vue. Mais le phrasé, la diction, l’articulation ont toute leur importance. Il y a même des battle songs : "Crippled Defense", "Seinfeld" et un admirable "Idiot Box" où, avec iCON the Mic King, Nobs s'attarde sur le ridicule de certains rituels hip-hop. Et sur "Right Foot Blue", il se place lui-même dans l’histoire déjà compliquée du rap en détournant les paroles de "The Message".

"It’s like a jungle sometimes, it makes me wonder how I keep on getting number".

Signée principalement par Slomoshun, la musique aussi, est hip-hop. Elle est rythmée, elle a des scratches. Mais comme l’exigent les paroles, elle est lente, et destinée à instaurer une atmosphère lourde et méditative. Le piano est rachitique, les percussions lentes et fortes, les samples de voix retros et mélancoliques. C’est adapté. Et il y a parfois de très jolies pièces de musique, comme les cloches et la trompette du magnifique "Far Weather Song", le beat beaucoup plus classique et tout en basses de "Idiot Box", produit cette fois par Jude Rock, ou le space rock de "Exit Stage Left". Mais ces réussites mises à part, les textes déclamés par le rappeur trouvent rarement l’écrin à leur mesure. C’est là le gros défaut de ce disque. De fait, la musique de Nobs n’était pas encore à son meilleur niveau en 2002. Certains n’ont pu entendre sur ce disque qu’un pleurnichard irritant. Pourtant, déjà, il était clair sur Musicide que cet autoproclamé "Nobody Special" avait tout de même quelque chose de très spécial.

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