Bud Berning n’a pas toujours eu de la chance. Un jour, celui dont le nom d’artiste est SkyRider s’est réveillé dans un hôpital mexicain, le corps brisé et maintenu artificiellement en vie par toute une machinerie. Il venait de sortir d’un long coma. Cette expérience, le Floridien a voulu la mettre en musique sur 47:34, un disque sorti sur Endemik Music, le label canadien à qui ont doit le premier Bleubird et le Synesthesia de Buck 65. Alors, forcément, vu le concept de base, cela n’est pas bien drôle. Cet album instrumental est du genre dépressif et frugal. Comateux, quoi. Il est construit comme un rêve éveillé, comme une longue dérive aux contours indécis, où quelquefois se distingue un passage aussi somptueux que fugace, comme les belles cordes de "Into the Light", le dub de "Dub Dem Crazy" ou les superbes chœurs de "Hello Loneliness".

SKYRIDER - 47:34

Cet assemblage de beats et de samples mâtiné de "vrais" instruments joués par des amis du rescapé (banjo, guitare, violon, clavier, basse, plus quelques voix fantomatiques) a beaucoup en commun avec celle du label cousin Bully Records. Il s’agit du même hip-hop affranchi, de ce hip-hop dépouillé de tout rap et de toute pose, de cette musique indéfinie et floue qui se mérite et qui s’écoute souvent bien plus longtemps qu’envisagé à la première approche. Les preuves du savoir-faire de SkyRider ne crèvent pas les yeux, la lassitude peine à se dissiper, mais avec le temps, des passages comme le petit tintement tout aussi charmant qu’inquiétant de "Good Morning" ou les violons de "Requiem" finissent par devenir assez addictifs.

Et puis il y a un titre plus marquant que les autres, le seul chanté sur cet album. A l’origine, "Masters of Deception" était une chanson du groupe pop / rock Black Janet écrite à la fin des années 80 pour dénoncer le désastre de la présidence de Reagan. En l’écoutant, SkyRider s’est dit que les paroles restaient valides aujourd’hui. Pour remettre les sons au goût du jour, il a invité le chanteur d’origine, Jim Wurster, à reprendre ce morceau sur de nouveaux sons conçus par lui et par quelques musiciens. Et c’est une réussite. Plus éloquente que n’importe quel titre récent anti-Bush, on jurerait que cette diatribe entonnée d’un ton désabusé sur une steel guitar a été écrite hier. SkyRider et son label l’ont d'ailleurs extirpée cette année de cet album où elle n’avait pas vraiment sa place pour la sortir en 45 tours accompagnée d’un remix par Odd Nosdam. En toute logique, tous ceux qui auront découvert SkyRider par ce titre s’intéresseront à 47:34 et accorderont à cet album déjà ancien toute l’attention et la patience qu’il mérite.