Peux-tu vous présenter au public français ? Qui êtes-vous, depuis combien de temps existez-vous ?

Tha Blue Herb est le groupe hip hop le plus démentiel du Japon, c'est du moins ce que nous autoproclamons. Nous avons fondé notre propre label en 1997 et tous nos enregistrements jusqu'à ce jour y sont sortis. Nous sommes le rappeur Ill-Bosstino et le producteur O.N.O.

Comment avez-vous découvert le hip hop ?

Etait-ce avec Public Enemy ? J'ai oublié. Je me souviens juste que ce qui m'a fait prendre un crayon et un micro, que ce qui m'a appris la profondeur du rap et du processus d'écriture, c'est le Illmatic de Nas. Je n'oublierai jamais l'impact que cet album a eu sur moi.

Vous êtes l'un des rares groupes hip hop japonais célèbres, ou tout du moins un peu connus. A quoi ressemble la scène japonaise ? Quel y est votre statut ?

Le hip hop japonais ne se pose qu'une question : comment devenir New York. Tout n'est que mode et imitation. Ca me fatigue, ça me rend tellement malade que je refuse de savoir à quoi il ressemble. Je refuse même d'en parler. Je me suis toujours tenu à l'écart de cette scène.

Et qu'en est-il de la scène de Sapporo ?

Sapporo n'est pas vraiment le centre du Japon. Par conséquent (surtout quand je suis dans notre club, l'endroit où j'écoute de la musique), cette ville n'est pas trop polluée par le mercantilisme. Tout les genres de musique son diffusés dans ce club. J'y apprends des tas de choses sur la magie de la musique et sur les affres de la vie.

DJ Krush a contribué à votre notoriété, n'est-ce pas ? Prévoyez-vous de nouvelles collaborations avec lui ?

Bien sûr. Les choses ont changé dès qu'il a commencé à passer notre disque. J'aurai toujours énormément de respect pour DJ Krush. Nous ne prévoyons pas de nouvelle collaboration pour le moment, mais s'il a besoin de moi, je suis disponible. Qu'il sache que je lui réserve mes meilleurs lyrics.

Il y a un groupe américain qui est paraît-il assez écouté au Japon et qui comprend un japonais parmi ses membres, les Living Legends. Vous vous connaissez ?

Je les ai rencontrés l'été dernier pour la première fois. Ce sont des gens cool.

Je connais les sorties solo d'O.N.O. Vous avez tous les deux vos propres projets ?

En ce qui me concerne, je travaille en ce moment sur l'album d'un groupe appelé Herbest Moon. Avec eux, j'essaie de m'émanciper du hip hop et d'explorer d'autres façons de faire de la musique, plus libres, plus originales.

Peu de gens comprennent le japonais. Je suppose que c'est pour cela que les pochettes de vos disques proposent des traductions en anglais. Vous avez peur que les gens qui ne vous comprennent pas aient du mal à appréhender votre musique ?

Oui. Quand j'étais gosse, je bougeais comme un fou sur Illmatic sans en comprendre un traître mot. Quand j'en ai lu une traduction japonaise pour la première fois, je n'en suis pas revenu "Mon dieu, comment est-ce possible de dire des choses aussi profondes de façon aussi géniale ?". Depuis, le rap a cessé d'être pour moi une musique de danse. Tu voyages loin si tu écoutes ce flot de mots lourds de sens, plus loin que si tu fais le vide dans ton esprit ou que si tu te contentes de danser. La musique, ses mélodies, ses rythmes, tout cela est universel, cela provoque des sentiments chez tout le monde. Pas les mots. Je suis convaincu que toi-même tu es persuadé que personne ne peut pas apprécier la musique française s'il n'en comprend pas les paroles. Qui plus est, mes lyrics sont assez délirants. J'écris sur tout, sur mon existence, sur mes fiertés, sur ma vie quotidienne. Et je veux que vous, les gens des autres pays, compreniez ces paroles. Je veux vous entendre dire : "Ces Japonais sont dingues. Quoi, il se passe des choses comme ça au Japon ?". Voilà pourquoi je tiens à ce que tout soit traduit.

Les beats d'O.N.O. sonnent très électronique. Il est fan d'electronica ?

Je ne suis pas lui, je ne peux rien t'assurer, mais il me semble qu'il s'y intéresse.

Quelles sont vos prochaines sorties ?

O.N.O. travaille en ce moment sur la BO d'un film, Heat, qui comprendra des chansons de Tha Blue Herb. A part ça, comme je te l'ai dit, je travaille aussi avec Herbest Moon, je cherche à créer une dance music idéale, une dance music qui soit la nôtre.

Vos disques sortent sur votre propre label, Tha Blue Herb Recordings. C'est difficile d'être signé sur un label au Japon à moins d'avoir le sien ?

Les labels japonais sont plein de soit-disant business men incapables. Ils sont inefficaces et ils se fichent de la musique. Ils ne connaissent même pas leur propre business. Ils n'ont strictement aucune idée sur comment vendre de la musique qui soit autre chose que de la variète. Ils ne savent pas trouver le bon public pour la bonne musique. Je gère mon propre label parce que je ne pourrai jamais supporter qu'un de ces imbéciles utilise mes propres profits, ou qu'il fasse des commentaires sur les paroles de mes chansons.

Vous prévoyez de signer d'autres artistes ?

A part nous, il y a un rappeur, Shulen The Fire, qui sort un album en Décembre. C'est un rappeur qui a été biberonné au jazz, et qui fait du super hip hop bien sale.

Sinon, tu écoutes quoi en matière de rap international ?

Je n'écoute rien de récent. J'en suis toujours à écouter Illmatic, le premier album de Jeru, le deuxième Mobb Deep, le premier O.C.

Et en matière de hip hop français ?

J'ai bien peur de ne rien connaître.

Tu envisages de venir jouer en Europe un jour ou l'autre ?

Je n'ai pas de plan dans l'immédiat, mais j'espère pouvoir venir un jour.

Un message pour clore l'interview ?

Je dédie notre musique à tous nos amis dans les parages. Notre musique de fous faite par des dingues de japonais. Grâce aux traductions en anglais, j'espère que vous pourrez l'écouter, l'apprécier et qu'elle vous transportera.