A l’heure où de nombreux groupes venus d’autres horizons prétendent le cœur vaillant investir le hip hop, dDamage fait figure d’heureuse exception. Cela n’est peut-être pas évident à l’écoute de leur musique difficile à classer, à moins peut-être d’avoir l’oreille et la culture nécessaires, mais une bonne partie de l’éducation musicale du duo français est rap. Sans surprise les deux frères, Fred et Jibé, avaient donc beaucoup à dire sur leur passé, sur leur musique, sur l'engouement actuel pour le hip hop, sur leurs références multi-genres. Bien leur en a pris, ils ont donné l'occasion pour notre webzine de réaliser sa plus longue interview, et l’une de ses plus intéressantes.

La musique de dDamage, c’est un compliment, est assez difficile à catégoriser. J’aimerais donc, question classique, savoir d’où vous venez musicalement.

Fred : j’ai trente ans. Mon frère a cinq ans de moins que moi. J’ai commencé à écouter de la musique vers l’âge de 9-10 ans. Les premiers trucs que j’ai écoutés, les premiers qui m’ont vraiment marqué plutôt, c’est le titre ‘Scorpio’ de Grandmaster Flash & The Furiious Five. Après, toute la vague qui a suivi.. J’étais à fond dedans. J’ai été marqué par les premiers albums de Prince aussi. J’ai été baigné dans la culture hip-hop hyper tôt. J’écoutais vachement de soul aussi. Beaucoup de jazz, Monk, assez tôt aussi. C’est mon oncle qui m’a initié au jazz. Qui m’a initié à beaucoup de choses d’ailleurs. Après il y a les émissions de Dee-Nasty qui sont arrivées. Puis j’ai commencé à tagguer. Je faisais partie du crew VEP (Vandales En Puissance) qui comprenait entre autres Oeno, Poser, Omega, Arnak, Eaze, Colorz... Plein de gars. Je tagguais "Rude".

C’était donc ton nom de graffeur ?

Fred : oui. Le crew VEP a fait la station Louvre, tous les gars qui tagguent se souviennent de cet époque et de cette station défoncée. C’était d’ailleurs passé au journal d'Antenne 2. Des gars ont fait de la prison pour ce truc. J’étais donc à fond hip-hop, soul, jazz. A fond dans cette culture là. Je faisais écouter du rap à mort à mon petit frère. Bien sûr, il me suivait parce que c’était mon petit frère. Mais il a été attiré par le rock et le punk rock assez rapidement. Lui c’était plus Mudhoney, Sebadoh, les Pixies.

JB : oui, le bon côté, c’est que grâce à mon grand frère qui avait 5 ans de plus j’ai commencé à écouter du hip-hop à 8 ans. Le mauvais côté c’est que je n’ai vraiment écouté que du hip-hop et que tout le reste de la musique c’était vraiment de la chiotte. Je me refusais vraiment à écouter d’autres styles. Mais vers 15 ans…

Fred : je lui ai vraiment matraqué le cerveau avec le hip-hop, mais vraiment. Je lui faisais des cassettes avec du Black to the Futur, Tung Twista, Sugar Bear, Black Sheep, Chubb Rock. Il était petit donc il écoutait tout, mais après il s’est rebellé…

JB : non non, j’ai découvert des trucs de rock vers 15 ans. Période Sub Pop, grunge, Nirvana, Mudhoney. J’ai commencé à jouer dans des groupes de punk. Et parallèlement j’ai fait des collages de bandes, parce que le fait de jouer en groupe me cassait un peu les couilles, en fait. Travailler tout le temps avec les mêmes gens, plier ses idées aux idées des autres… Je n’avais pas de sampler à l’époque, mais ça a commencé par des boucles mal faites sur cassettes. Des nappes de synthés avec des bruits d’ambiance saturés, des choses comme ça. Et progressivement, mon frère qui ne jouait aucun instrument y a pris goût. Il a commencé à faire de la musique de cette manière là, aussi.

Fred : l’échange se faisait assez naturellement parce qu’on était dans la même chambre. 12 m2, lits superposés. On a commencé à s’acheter du matos, à faire des collages de bandes. Et forcément, je me suis mis à écouter du Mudhoney et les Pixies, et lui continuait à écouter du hip-hop parce qu’on était obligés. Comme on était obligé de dormir l’un au-dessus de l’autre, comme j’étais obligé d’écouter ses ronflements et lui d’écouter les miens, on s’est mis à échanger nos disques. Il a commencé à me faire écouter ses bandes, ses démos, son groupe qui faisait plus ou moins du bordel, des trucs de punk-rock. Et c’est là qu’il a fait l’acquisition d’un Atari Falcon, qu’il a commencé à faire de la musique assez sérieusement. Je m’y suis intéressé et on a commencé à faire notre premier groupe. Je ne vais pas dire le nom parce que c’est inconnu au bataillon. Ensuite, on a travaillé plus ou moins sérieusement tous les deux. On a fait notre premier album pour une exposition. C’est un premier album assez bizarre parce que c’était une commande. Il ne reflète pas forcément toutes nos envies et tous nos goûts musicaux, parce qu’à l’époque on nous avait dit "voilà, c’est une expo, il faudrait telle ambiance". Mais je ne renie pas du tout cet album.

Il y avait une sorte de cahier des charges ?

JB : non, mais comme on avait une deadline très serrée, on a été obligés d’opter pour du minimalisme, pour faire du bon travail. C’est quelque chose qu’on aime mais ça ne représente pas tout ce qu’on aime faire. Pour le coup on a fait un album vraiment minimaliste, en mono, avec beaucoup de boucles. Sur l’album d’après, on était tellement sevrés du minimalisme et de la répétition qu’on a pris le premier album à contre-pied. On a fait un truc complètement éclaté.

Fred : je pense que ce premier album nous a aidé. On s’est dit effectivement "bon, voilà, maintenant on a fait ça avec une deadline. Maintenant on fait ce qu’on veut, une autre démarche". A l’époque, le premier album avait plu, même s’il n’était pas distribué.

C’était à quelle date exactement ?

JB : 98.

Fred : après il a été réédité par Grafted. Un petit label franco-suisse. Et après on a commencé à faire le deuxième album avec des "vrais" instruments. Mon frère joue de la guitare, de la basse. Des vrais samples. Je ne veux pas dire qu’il y a des vrais et des faux samples. Mais des samples de nous-mêmes. Nous qui jouons, nos voix. Une vieille guitare toute cradingue. Des samples de break, des samples divers. Des synthés analogiques. JB a fait l’acquisition de synthés analogiques. On a démarché, on a assez rapidement eu de bons échos. Un gars de chez Naïve nous a aiguillé vers Noise Museum. Et Noise Museum nous a signés assez rapidement. Donc voilà Harsh. Mais on a eu quelques problèmes avec le label, notamment pour la pochette.

C’est pas celle que vous vouliez ?

Fred : non, elle est à chier. Mais c’est une longue histoire. On ne va pas en parler. On a eu quelques problèmes avec le label mais on est contents d’être sortis sur Noise Museum. Ca nous a fait quand même un tremplin, ça nous a permis de jouer partout en Europe, de collaborer avec plein de gens, de faire la rencontre de plein de gens, de participer à plein de projets différents. Et là, on finit le troisième album. Qui devrait sortir sur Planet µ si tout va bien.

Et comment vous vous y êtes retrouvés donc ?

JB : en fait, c’est assez impressionnant de se retrouver sur un label aussi génial par le simple fait d’envoyer une démo. Et que le boss du label trouve ça bien.

Il n’y a pas eu de recommandation ?

JB : que dalle.

Donc ils écoutent vraiment ce qu’on leur envoie.

JB : voilà. C’est grâce à un ami à nous, Hypo, qui a pris nos dernières démos et qui les a envoyées à Planet µ. Pourtant il n’avait pas de contact avec Mike Paradinas. Il les a juste envoyées à la boîte postale qui est indiquée sur le site.

Fred : sans rien nous dire.

JB : ça a mis un petit bout de temps, deux ou trois mois avant qu’il n’écoute le disque. Mais il l’a écouté, et il a vraiment accroché.

Il est revenu directement vers vous ?

JB : il nous a envoyé un e-mail, et ça c’est fait progressivement. Il ne nous a pas signé tout de suite. Il nous a dit "je veux entendre vos nouveaux morceaux". Et au bout de trois envois, il nous a dit "bon c’est bon, j’ai de la place début 2003 ou mi 2003". Voilà.

Alors, votre réaction ?

JB : on n’y croyait pas.

Fred : mais bon, j’attends que l’album sorte.

Tu ne vends pas la peau de l’ours.

Fred : voilà, exactement. On ne sait jamais ce qui peut se passer sur tout label qui existe. Il peut changer d’impératif, donc tant que c’est pas sorti… Je ne suis pas superstitieux mais presque. Mais je suis content. C’est un label prestigieux, il y a de bons artistes dessus. Et je suis content aussi de ne pas être sur un label électro français.

Pourquoi ?

Fred : il y a beaucoup de labels français qui ne me plaisent pas.

JB : tu as beaucoup de considérations automatiques qui viennent de distributeurs, de vendeurs dans les magasins de disques et qui font leurs commandes chez ces distributeurs, de pas mal de journalistes aussi. Il se trouve qu’on parle de musique faite à la maison par des monsieur tout-le-monde en ce moment, et le fait d’être proche, géographiquement j’entends, des distributeurs et des vendeurs de disques qui se connaissent en général un peu tous te déconsidère un petit peu. Ca fait tout de suite "petit amateur qui a sorti son disque sur un petit label français". Alors que là, même si on est des inconnus en Angleterre, on sort notre disque sur un label anglais qui va présenter des artistes dont ils n’auront jamais entendu parler. Il aura plus de chances selon moi d’être considéré comme un album professionnel. C’est très con à dire, parce que c’est une considération que moi-même je n’ai pas. Je peux enregistrer un disque dans une chambre à coucher avec un ordinateur, et avoir un résultat qui est très valable. Il n’empêche que le vendeur à la FNAC qui voit un nouveau disque Gooom, il se dit "bon, encore un petit français qui bricole, je vais en commander deux ou trois parce que ça ne va pas se vendre". Alors que selon moi, ça nécessite plus d’intérêt que ça.

Fred : pour reparler des labels électro parisiens, il y a beaucoup de choses qui se font de très bien. Là par exemple, on est dans les locaux d’Active Suspension, et ils ont des trucs que j’aime beaucoup, comme Hypo ou O.lamm. Mais il y a aussi des trucs que j’aime pas, et en ce moment, on assiste à une recrudescence de labels qui profitent de…

…l’engouement pour la scène électronique française.

Fred : oui, un petit peu. Ou tu as des labels comme Gooom ou Peter I’m Flying qui récupèrent pas mal d’artistes qui sont sortis ailleurs. Ils se les réapproprient.

Vous avez eu plus de moyens pour cet album ?

Fred : on travaille toujours de la même manière, même si JB s’est acheté une guitare de meilleure qualité.

JB : après un an et demi de concert, avec les cachets qu’on partage en deux, j’ai acheté du matériel. Donc oui, il y a plus de moyens, mais qui ne sont pas dus au fait qu’on soit sur un plus gros label.

Fred : on n'a rien touché, on a pas eu d’avance (rires).

JB : mais bon, vu qu’on a un synthé analogique en plus, on a deux Atari. Là on vient de faire l’acquisition d’une MPC, même on ne l’utilise pas pour cet album là. Oui on a plus de moyens. Mais c’est dû au fait qu’on a bossé comme des chiens et qu’on a fait des concerts à droite et à gauche, qu’on a touché des cachets. Tout l’argent qu’on touche grâce à la musique, on le réinjecte dans la musique. Pratiquement tout. Sauf quand tu arrives en fin de mois et que tu ne peux pas faire autrement.

Fred : mais c’est pas parce qu’on est sur Planet µ. C’est pas grâce à Paradinas. C’est quand même pas Sony.

JB : j’ai déjà crevé la dalle à cause d’un synthé (rires).

Fred : par contre, pour revenir sur Gooom, j’ai pas écouté leurs derniers trucs. Abstrackt Keal Agram et les trucs comme ça, je ne sais pas ce que ça donne.

Je connais l’album sur Monopsone.

Fred : c’est bien ou pas ?

JB : j’ai écouté. C’est un album… chiant quoi.

C’est un album de… comment dire, abstract hip-hop quoi. Moi j’ai bien aimé.

Fred : et les derniers trucs ?

J’ai pas écouté les derniers trucs.

Fred : ils ont collaboré avec quelqu’un de Def Jux ?

Non, avec la Atoms Fam. Et avec La Caution.

JB : il n’y a rien de définitif dans mes jugements. Je considère que le premier album d’Abstrackt Keal Agram est vachement simple, il manque de maturité. Je pense que c’est un groupe qui, en mûrissant, peut donner de très très bonnes choses.

Fred : en même temps, sur Gooom, il y a de très bonnes choses qui sont sorties. Je ne vais pas dire "Gooom c’est de la merde". Il y a de bons trucs. Mais en même temps j’aime beaucoup le premier album de Mils sorti sur Gooom, enfin on ne va pas épiloguer sur le sujet… Au tout début on avait envoyé une démo à Gooom. Il y a longtemps. Aujourd’hui, je ne le referais pas. Ce que je voulais dire par rapport à la scène électronique parisienne (puisque cette interview est pour Hip Hop Section, le site rap de ceux qui n’aiment pas le rap, un site de hip-hop un peu spécial donc), c’est que beaucoup sont énervants dans leurs relations avec le hip-hop. C’est vrai pour la presse aussi. Il y a tout un tapage autour du hip-hop, tout le monde se met à écouter du hip-hop. On dirait que tout d’un coup, ils viennent tous de découvrir le hip-hop.

RJD2…

Fred : tu vois.

Ca fait un moment quand même. Ca fait 5 ans que les labels électroniques anglais créent leur division hip-hop. Même si Warp ne l’a fait que l’an dernier.

Fred : oui mais les français sont toujours à la traîne. Et là tu vois plein de gars qui arrivent et qui te disent dans les interviews : "ouais Cannibal Ox ! Ouais Anti-Pop Consortium ! Ouais Anticon ! Ouais cLOUDDEAD ! Ouais Company Flow".

Moi je suis pour. Ca nous amène des gens.

Fred : oui, c’est clair. C’est bien. Mais au niveau background, les mecs ont que dalle. Excuse moi d’être grossier, mais c’est des blanchettes. Ils arrivent "ouais le hip-hop c’est génial", mais il ne comprennent rien à que dalle. Ils n’ont aucune culture hip-hop et pour eux, le hip-hop c’est El-P. Moi j’aime bien El-P, j’aime bien ce qu’il fait. C’est un tueur, un producteur qui défonce. Mais le hip-hop n’a pas commencé avec Company Flow. Maintenant tu as plein de groupes du genre d’Abstrackt Keal Agram qui se ramènent avec des collaborations. Très bien, c’est mortel si ça donne des trucs bien. Mais si c’est pour mettre le nom "Atoms Family" et dire "ouais regardez c’est super on fait des trucs avec des mecs affiliés à Def Jux"…

JB : "ouais nous aussi on aime le hip-hop, on est dans la hype".

Fred : ou alors tu vas voir la playlist des gens de chez Gooom. Ils mettent cLOUDDEAD ou des trucs comme ça. Alors qu’il ne connaissait que dalle de rien à rien il y a 6 mois. Pour moi un mec qui écoute du hip-hop c’est pas ça.

C’est pas surprenant non plus. El-P reste un mec vachement hip-hop, mais tout ce qu’il y a autour d’Anticon et de cLOUDDEAD, c’est vachement rock ou électronique.

Fred : c’est des blanchettes.

Mais même les mecs d’Anticon eux-mêmes en fait.

Fred : oui. C’est des blanchettes. Et les mecs écoutent ce hip-hop parce que c’est quelque chose qui leur est plus ou moins affilié, et qui leur ressemble. Mais pour moi, ce n’est pas une façon saine d’approcher la musique. Ca reste un jugement personnel, il vaut ce qu’il vaut. J’adore Buck 65, j’adore Deep Puddle Dynamics. Mais moi ça fait longtemps que j’adore. C’est peut-être une réaction de vieux con qui se dit "ils écoutent ce que j’écoutais", mais il n’y a pas que ça. Je te parle de Tuff Crew, de Sugar Bear, de trucs comme ça. Il y a des trucs des Living Legends que j’adore. Je peux te parler de MF Doom, il défonce. J’aime bien Necro. J’ai une liste tellement longue que ça prendrait toute l’interview. Kool Keith quand il est bien produit. Plein de trucs comme ça. L’engouement actuel pour le hip-hop est… bizarre. Les mecs qui viennent de l’electronica et qui prétendent aimer le hip-hop, il ne savent pas ce que c’est, le hip-hop. Pour un jeune de 15 ans, au contraire, le hip-hop pour lui c’est le rap français.

Oui, c’est clair.

Fred : pour lui, le hip-hop c’est Rohff. A la limite Kery James ou le 113. Il ne veut pas trop entendre parler de rap américain. Ou alors du Puff Daddy ou du Jay-Z. Ils te disent "Jay-Z il est fort". En même temps ils ont raison. Jay-Z peut être fort. Il te sort des fois des putains de phrases. Mais c’est pas Jay-Z non plus le hip-hop. Ca remonte à loin. Beaucoup de choses se sont passées avant. Il y a une éducation qui est à faire.

Là tu nous dis que les mecs qui viennent de l’électronique ne connaissent pas le hip-hop, que les rappeurs eux-mêmes ne connaissent pas le hip-hop. Alors qui connaît le hip-hop ?

Fred : en fait c’est plus ambigu. C’est un sujet hyper vaste, on pourrait en parler des heures et des heures.

Eh bien justement, qu’en est-il du hip-hop dans la musique de dDamage ? C’est pas évident à première écoute.

JB : en réécoutant, certains le remarquent. Et c’est quelque chose qui flatte énormément.

Fred : ça me fait plaisir quand on me dit "il y a certaines de vos rythmiques qui sont hip-hop". Quand on m’a dit dernièrement "j’ai reconnu un sample de Master Ace", j’étais content.

Il n’y a que les rappeurs qui écoutent Master Ace.

Fred : oui, justement. C’est ce qui est bien pour nous. Il y a pas mal de gens qui écoutent de la musique électronique qui aiment notre musique. Des gens qui écoutent du punk rock, du rock indépendant, et qui aiment notre musique. Et des gens qui écoutent du hip-hop et qui aiment notre musique. Il y en a moins mais il y en a. Et ça c’est hyper flatteur. D’habitude, quand tu fais écouter de l’electronica à un fan de rap, il te dit "range ta merde". Pareil, tu fais écouter de l’electronica à un mec qui écoute les Pixies, il te dit "ça me casse le cerveau".

Ca c’est moins évident. Je connais pas mal de fans communs des Pixies et d’Autechre.

Fred : oui, moi aussi. Dans ce cas c’est moins évident. Bon, je ne suis pas en train de te dire qu’on va réconcilier tous ces gens. C’est déjà le cas de groupes comme Add N to X. Je connais des gens qui viennent de l’electronica, du rock ou du hip-hop qui adorent Add N to X. Mais quand même, le fait qu’un mec comme Paradinas nous accueille sur son label, ça veut dire pas mal de choses sur notre musique.

JB : si c’est flatteur que des gens arrivent à reconnaître des éléments hip-hop camouflés dans notre musique (et ça ne se produit pas super fréquemment, comme tu peux te l’imaginer), c’est que de l’autre côté de la balance, énormément de gens ont jugé notre musique hyper vite et l’ont cataloguée "Noise Museum = indus", "énième groupe d’électro bourrin", à la Scorn ou à la Techno Animal. J’aime bien cette musique. A petite dose mais j’aime bien. Mais je me sens hyper vexé quand notre musique est rattachée uniquement à ça. On parle de hip-hop depuis tout à l’heure, mais il y a autre chose. Par exemple Sonic Youth, ça reste l’une de nos plus grosses influences. On aime beaucoup la musique électronique aussi. Et pourtant, tu as des gens qui se sont arrêtés au détail, qui n’ont pas écouté le disque une deuxième fois et l’ont catalogué tout de suite. Au moins, quand quelqu’un me parle de nos influences hip-hop, ça prouve qu’il a écouté le disque, qu’il est rentré dedans.

Fred : je me souviens d’un critique qui avait dit "j’ai écouté l’album une fois et ça m’a cassé la tête". Mais en fait il l’a écouté plusieurs fois après, et au bout d’un mois, il a fait une super belle chronique (sur popnews). Et on a des chroniques de Harsh, maintenant là. Il y en a qui sont arrivées il y a deux ou trois semaines. On a eu une bonne chronique sur Octopus, une autre sur All Music Guide, un site de référence quand même. Tardivement.

JB : ça fait du bien de trouver des chroniques qui, sans être forcément dithyrambiques, analysent le disque en profondeur. Le mec sur All Music Guide a quand même été jusqu’à citer en référence Phonem, et c’est très flatteur.

Ca n’est peut-être pas étonnant que vous n’ayez que rarement des chroniques pertinentes. Parce que vous avez une connaissance assez complète de, pour schématiser, l’électronique, le rock et le hip-hop, et je ne suis pas certain que tout le monde soit dans ce cas.

JB : oui mais tu as quand même affaire à des journalistes, normalement. Quand quelqu’un écrit "ce disque fait mal à la tête", et que tu as l’impression qu’il n’a écouté que les trois premiers morceaux, tu as envie de lui dire "bon, n’écoute pas l’album et rentre chez toi".

Fred : mais on n’a pas eu de mauvaise chronique en fait.

JB : la plus mauvaise chronique qu’on ait eu c’est chez Magic! Qui disait du bien du disque en fait, mais d’une manière tellement… imbécile. Même si la personne dit du bien du disque, elle n’incite pas forcément les bonnes personnes à l’acheter.

Fred : en gros, les personnes qui diront des mauvaises chroniques de nous, on leur cassera la tête (rires). Je rigole. En fait, j’aime bien le côté honnête et franc d’une chronique. J’aime pas les trucs de surface. Et tu as beaucoup de gens qui n’écoutent pas les disques en fait. Ils en ont trop à écouter. C’est n’importe quoi si tu chroniques un disque sans l’avoir écouté au moins trois ou quatre fois, c’est pas un boulot. Mais si quelqu’un exprime une opinion intelligente et réfléchie, je ne pourrai pas lui dire "vas-y, va te faire foutre".

JB : je me souviens d’un autre papier dans Magic ! sur Gel qui disait énormément de bien de sa musique, mais qui commençait pas "Gel est le Aphex Twin français". Quand j’ai lu ça j’ai explosé de rire. Gel ça n’a rien à voir avec Aphex Twin. C’est comme si la scène française devait absolument correspondre à la scène anglaise, et qu’il fallait forcément combler un manque et trouver des comparaisons. C’est vraiment de la connerie.

Mais c’est ce que le lecteur réclame.

JB : oui. Eh bien c’est dommage.

Ca peut être saoulant une chronique purement analytique.

Fred : d’accord, mais ce que dit mon frère, c’est qu’il y a une différence entre des références légères et bien amenées et Gel = Aphex Twin. En plus, je connais bien et Gel et Aphex Twin, et je pense que ça n’a rien à voir. C’est comme quand on m’a dit "ce que vous faîtes ça ressemble à Techno Animal". Je vois pas, à part pour la saturation. Nos références ce serait plutôt des trucs de la fin des années 80, des Tuff Crew ou des Sugar Bear qui ont donné de gros coups de pied au cul du hip-hop. Et pourtant, Sugar Bear ils n’ont dû sortir qu’un maxi.

JB : Les comparaisons avec Techno Animal sont complètement ineptes, nos morceaux n’ont pas la même structure. Techno Animal qu’est-ce qu’il font ? Ils prennent des rythmiques hip-hop hyper basiques, ils les saturent et ils font rapper des gars dessus. Voilà. Ils font des boucles. Et les boucles c’est le cancer de la musique électronique aujourd’hui, c’est en train de nous tuer. Certains morceaux de Techno Animal vraiment bourrins qui sont juste mis en boucle sont aussi inintéressants que la merde ultra délicate qui sort chez Morr Music. Même si c’est pas le même son. C’est le syndrome de la musique électronique. Tu prends un son un peu biscornu, tu le mets en boucle, et ça fait un morceau.

Fred : pour reparler des alliances entre musique électronique et hip-hop : nous on vient de faire un remix de TTC…

…j’allais y venir.

Fred : ce n’est pas pour dire "on va faire un truc avec les TTC, on va mettre une boucle et ils vont rapper dessus". On a été chez Tacteel, JB connaissait un peu Tekilatex, on s’est vu, je lui ai expliqué ce qu’on voulait faire. On a pris que l’a cappella. Et on a dé-fon-cé ‘Pas d’Armure’. Ca n’est pas du tout une boucle qui tourne avec les 5 rappeurs qui sont là synchronisés. Normalement le remix devrait sortir sur maxi vinyle.

JB : en fait, on est parti sur l’idée de faire un nouveau morceau, pas simplement de refaire une ambiance pour le même morceau, ce qui se fait un peu trop dans le remix aujourd’hui. On a poussé le vice jusqu’à complètement déstructurer leurs couplets, recaser leurs voix de façon décalée, off-beat.

Fred : quand tu écoutes le remix, tu n’as pas envie de dire "putain, ils se sont pas foulés". En ce moment on prépare un projet hip-hop. Ce ne sera sûrement pas des boucles avec des mecs qui viennent rapper dessus.

JB : je veux apporter une précision. Le truc qui existe dans le rap et qui est ultra intéressant, c’est ce principe : la voix qui fait tout, qui va même faire des changement d’ambiance sur un instrumental qui reste bouclé. Ca c’est du rap. Et c’est très bien de le faire comme ça. C’est ce qui me passionne depuis des années. Mais quand tu as la prétention de dire "on va faire une rencontre musique électronique / rap », les enjeux ne sont pas les mêmes. Tu veux apporter ta pierre à l’édifice, tu es autre chose qu’un DJ qui a son sampler et qui fait tourner une boucle. Sur le remix de TTC, il y a des passages de voix qui sont déchiquetés, et pour ça je me suis beaucoup influencé de V/VM. Il faut vraiment montrer autre chose que du hip-hop et de l’électro collés ensemble avec un morceau de scotch.

Fred : on aurait pu se dire "on a Dose One, on ne va pas le toucher". Mais Dose One, on l’a défoncé. Et tu kiffes. Déjà qu’il a un phrasé de timbré. Alors imagine off-beat, haché et tout…Et ça nous plairait de faire tout un disque avec cette manière d’approcher le hip-hop. On veut bien récupérer des a cappella, mais en précisant aux mecs que ce ne sera pas un simple featuring…

JB : …en leur précisant qu’on va tout refaire.

Fred : on aimerait bien bosser aussi avec des mecs qui font du son mais qui sont proches du hip-hop. Tacteel, Boom Bip, des choses qui sont prévues mais qui ne sont pas du tout sûres. Et Big Jus, TTC, Tes (thanx to Teki) et d’autres gars qui ne sont pas sûrs du tout.

Il a entendu vos trucs Big Jus ?

Fred : oui, je lui ai envoyé des sons et je l’ai eu au téléphone. Il nous a précisé les sons qu’il voulait, les bpm sur lesquels il voulait rapper. J’ai halluciné avec Big Jus. Il m’a dit "moi j’aime bien 110,5 bpm" (rires).

JB : il nous a sorti tout un discours : "le rap d’aujourd’hui est trop axé autour du 96 bpm".

Fred : c’est grave (rires). Il est super intéressant, j’ai passé plus d’une heure avec lui au téléphone. Il m’a dit "I like very fast". Il veut s’échapper du DJ Premier. Ca veut pas dire qu’on va faire que ça. Tes aussi, on doit lui envoyer des instrus. J’adore ce qu’il fait. Mon frère aussi adore. Thirstin Howl III, Rack Lo, les mecs de Spit Factory, mais ça c’est moins sûr parce que c’est des cailleras. C’est dommage parce que j’aime bien TH3, j’aime bien sa façon de rapper, j’aime bien son flow. TTC, j’aimerais bien continuer à bosser avec eux, j’espère que ça va se faire. Et puis Tacteel. J’aime bien Fuck a Loop aussi, j’aime bien ce style d’expérimentation.

Ca fait pas mal de projets.

Fred : Ca fait beaucoup de boulot oui. Là on finit l’album de Planet µ. Il nous reste quelques morceaux. Après on a une mini-tournée européenne. On va jouer à Londres, Amsterdam, Berlin, Milan, Rome. On a plusieurs dates à Paris. On a aussi un projet pour un reportage. On peut en parler ?

JB : oui, on fait la bande originale pour un documentaire sur la scène no-wave new-yorkaise des années 80. Et en fait, la fille qui réalise (Angélique Bosio) ne prend qu’un morceau de Sonic Youth dans sa bande originale, c’est le seul morceau réutilisé si on peut dire, et elle nous demande de faire le reste de la musique. Parce qu’elle a considéré que son reportage était un compte-rendu 20 ans après de cette scène là et qu’on était nous-même une sorte de compte-rendu de ce que faisaient ces musiciens il y a 20 ans.

C’est flatteur.

Fred : c’est super flatteur.

JB : c’est super flatteur. Elle nous a vraiment dit qu’il y avait une adéquation. L’autre jour on a regardé les premières images de son documentaire et ça a l’air de se profiler d’une très bonne manière.

Fred : elle a interviewé tous les gens qui tournaient autour de cette scène là. Elle a vraiment accroché sur le troisième morceau de Harsh qui s’appelle "6 Colored Pictures", et qui est une référence à Nirvana en fait. C’est la seule personne à ce jour qui a trouvé la référence. Parce que sur "Marigold", un morceau de Nirvana, est cité à un moment la phrase "6 colored pictures". Voilà. On a plein de trucs, donc ce truc hip-hop c’est pas pour tout de suite. Mais je pense qu’on enchaînera là-dessus une fois dès qu’on aura fini tout ce qui est en cours. Il y a aussi le projet d’un album de remixes, avec d’autres gens.

JB : oui mais ça c’est plus facile à gérer, ça se gère en tâche de fond. Ca se prépare en prenant le temps, d’une manière assez saine. __ Fred :__ tout m’enthousiasme en fait.

JB : et je sors mon premier album solo sur Angelica Köhlermann. C’est un label autrichien en fait. Je sors ce disque normalement en décembre. Ce n’est pas confirmé mais il y a des chances qu’il y ait une licence aux Etats-Unis chez Tiger Beat 6 . Ca risque d’être bien distribué ce truc là (pause). Et après tout ça (rires), on s’attaque sérieusement à l’album hip-hop.

L’album qui se profile, il prend quelle direction ?

JB : on a essayé de garder les mêmes références mais de les dispatcher d’une manière totalement différente. Sur notre nouvel album, il y aura des morceaux qui sont purement électroniques et des morceaux très légèrement électroniques et très très rock, et un ou deux morceaux qui tendent vers le hip-hop instrumental. Mais toujours avec des influences tiraillées qui cherchent toujours à s’insérer à l’intérieur. Par exemple, le morceau le plus électronique dans la forme est dans l’esprit le meilleur morceau rock de l’album. C’est très électronique mais au niveau du punch et du rentre-dedans c’est plus rock’n roll.

Fred : le côté rock, on aime bien le pousser à fond en concert.

Justement, ce concert au Batofar ? Il s’est bien passé apparemment.

Fred : il s’est très bien passé.

Avec Tekilatex en guest star ?

JB : et Cuizinier.

Fred : C’est un truc qui s’est improvisé un peu comme ça. On essaiera de mieux préparer à l’avenir je crois. Là ils sont arrivés et ils ont rappé pendant 5 minutes, parce qu’on s’entend bien et qu’ils étaient là à la soirée. C’était un peu freestyle improvisé et mes machines ont planté mais les gens ont bien aimé apparemment. Sur l’ensemble du concert, j’ai trouvé que ça s’était bien passé. C’était un putain de concert.

JB : si le côté rock rejaillit tellement en live, c’est qu’on s’est super fait chier par le passé en allant à des concerts de musique électronique. Quitte à défigurer notre propre musique sur scène, au moins on donne quelque chose à voir qui s’appelle un concert.

Fred : on n’est pas deux gars derrière des laptops.

JB : bon, faut pas être manichéen, j’ai déjà pris un pied pas possible à un concert de Rioji Ikeda, ou de Christian Fennesz. C’est pas du tout scénique, ça reste un mec devant son ordinateur. Mais l’artiste profite d’être dans une salle avec une bonne acoustique pour créer des phénomènes psycho-acoustiques, pour faire un truc qui serait impossible avec un disque. Et je trouve ça hyper fascinant. Je me dis "je serais incapable de le faire", et je crois que c’est pareil pour mon frère. C’est plus un concert, c’est une séance d’écoute. "Ecoutez ce truc là, je ne le fais qu’en concert". Même si après tout, j’appuie sur le bouton de ma souris pour vous le faire entendre. Donc en fait je ne crache pas sur le mec qui se met tout seul devant son ordinateur, mais si tu t’engages là-dedans, mieux vaut aller dans la bonne direction. A l’opposé, j’ai vu Plaid au Batofar passer des versions longues de l’album grâce à un disque dur bien rempli, et je trouve ça super lamentable. En plus ils étaient deux pour le faire (rires) !

Un qui cliquait sur la souris et l’autre qui la déplaçait.

JB : peut-être.

J’ai commencé par la question la plus banale, je terminerai par l’autre question la plus banale : c’est quoi votre playlist en ce moment ?

Fred : il y a un disque que j’écoute pas mal (il sort des CD de son sac). Bon ça j’aime bien (il montre le Fast Rap d’Edan), mais c’est pas un truc que je mettrais dans ma playlist. Cette compile elle est bien (il montre la compilation de Leaf). En fait j’aime bien Leaf. Sinon l’album de Mudhoney est bien.

JB : oui, le nouvel album de Mudhoney est super bien. Sur l’album précédent ils étaient vraiment en fin de parcours, ils n’avaient plus rien à dire. C’est selon moi leur seul album raté. Je m’étais dit que c’était le début de la fin, mais là ils reviennent avec un album où ils se remettent complètement en question. Une sorte de noise grunge psychédélique qui part dans tous les sens. C’est un album qui est super intelligent, super bien construit. Sur ma playlist je mettrai juste cet album.

Fred : sinon, tu peux aller sur notre site (www.ddamage.org) et regarder notre playlist. On la change tous les mois. Avec ça tu as plus ou moins les trucs qu’on écoute.

JB : j’insiste vraiment pour que tu distingues sa playlist de la mienne. Moi c’est le Mudhoney. C’est ma playlist à moi. Je l’écoute depuis trois semaines.

Le mot de la fin.

Fred : oui, sur votre forum. Il est bizarre.

Comment ça ?

Fred : je ne sais pas, il y a des gens…

Allez allez…

Fred : c’est un bon forum. C’est grâce à votre forum qu’on fait cette interview. Notre webmaster m’avait dit qu’on parlait de nous sur le forum hip hop section. Et j’ai trouvé ça hyper intéressant. Chaque fois que quelqu’un qui écoute du hip-hop me dit "j’aime bien votre album, j’aime bien tel morceau", ça m’intrigue, ça m’intéresse. Et depuis je vais sur votre site. Et je suis content que notre interview passe sur votre site. Un grand merci à tous les posteurs donc.