Déclarations de portée générale, introspection, dégoût, poésie crue et abstraite. Aucun doute, toute radicale qu'elle se pense, Programme est une entreprise passéiste, tout cela appartient à une ère révolue.

Lithium :: 2000 :: acheter ce disque

Programme est le projet de Damien Bétous et d’Arnaud Michniak, ancien chanteur de Diabologum, l'un des groupes fétiches de la scène pop indé française. La dernière trace discographique du groupe, l'album #3, avait été l'un des événements musicaux de 1997 et très fortement marqué les esprit. Ses ambitieux instigateurs y délaissaient le format pop pour des compositions plus amples et des paroles plus orageuses. Les mains plus libres encore, Michniak utilise depuis Programme pour persévérer dans cette voie et s'émanciper encore plus de ses anciennes amours. Car cette fois, son cerveau est descendu dans sa bouche et plus rien ne s'oppose à ce qu'il déclame vertement tout ce qu'il a en tête. Ce qui donne un album au chant parlé, façons coup de boutoir, pas saccadé comme peut l'être le rap, mais tout aussi brut de décoffrage. Voire plus.

Les paroles de Michniak exhalent en effet le dégoût, sans qu’on sache s’il s’agit de dégoût de soi-même ou de dégoût des autres. Des deux vraisemblablement. Et ça donne lieu à quelque déclamations tout aussi habiles qu’explicites ("Vous connaissez James Brown ? Moi c’est le contraire : je suis blanc et je suis pas fier"). La production suit au millimètre cette évolution, Bétous se livrant à des compositions abstraites et évolutives façon post-rock, épaulées parfois par quelques samples, où des guitares réminiscentes de #3 viennent parfois tonner bruyamment.

Décrite comme cela, la formule Programme ressemble finalement d'assez près à un certain hip hop souvent abordé chez nous. Certainement pas celui d'Anti-Pop Consortium ou de Mike Ladd, avec lesquels Programme partage pourtant l'affiche d'un concert : trop direct, pas de culture spoken word et un bagage musical et culturel assurément bien distinct. Mais plutôt celui d'un label comme Anticon dans ses escapades les plus allumées. Rien d'étonnant, diront les détracteurs de Sole et de sa bande, qui reconnaissent depuis toujours dans la musique de son label une sorte de resucée pop indé maquillée en rap.

Si la musique a quelques points communs, les paroles sont tout de même bien moins ampoulées et naïves que chez les plus contestables des productions Anticon. Nous sommes en France ici, impitoyablement jugés sur la maturité de nos paroles et férocement interdits de poésie de collégien. Le chanteur suit d’ailleurs l’increvable adage punk selon lequel il faut choisir le chemin le plus court entre le message et la façon de l’exprimer. Ce qui vaut, entre quelques passages plus abstraits et généralement bien ficelés, des déclarations aussi directes que "avant de créer des emplois, faites des hommes, des conos dans les bureaux appliquent des consignes, allez tous vous faire branler" ou "leur bonne conscience les rend malsains, rien à foutre de foutre de rien". En entamant d’ailleurs son album par un tonitruant "Tous les disques sont de la merde", Arnaud Michniak se vaccine d'emblée contre les critiques tentés de hurler au délire arty. Qui plus est, il a raison. Tous les disques sont de la merde. La vie en général aussi d'ailleurs. Tout est relatif. Y a plus de saison. Et à long terme, nous sommes tous morts.

Ces déclarations de portée générale, l'introspection et le dégoût en filigrane, la poésie abstraite du très glauque "Le Jour est le Brouillon de la Nuit", ou encore un titre comme "Des Singes Déboulent de Partout et Terrassent tout ce qui Passe", appartiennent pourtant, comme les élucubrations anticoniennes, au passé. A l’époque d'avant le rap où la musique, même populaire, se dépouillait tout juste de sa futile vocation sacrée. Par exemple, quand Michniak déclare que tout ce qui n'est pas stylisé n'a pas lieu d'être commercialisé. Là encore, il a raison. C'est un acquis. Mais pourquoi le déclarer ainsi, directement sur l'album ? En l'an 2000 ? A plusieurs reprise, le chanteur semble pourtant se résigner à l’acceptation du monde, de la société et des aspects de lui-même qui le mettent en colère. Il est peut-être temps.

Des initiatives comme Programme ont leurs adeptes. Mais pour quelqu'un qui, comme moi, a l’illusion de rechercher avant tout des beaux disques de rap, l'intérêt de l'album résidera avant tout dans quelques instrumentations très réussies, comme celle de "Le Jour est le Brouillon de la Nuit" ou plus encore celle assez prodigieuse de "Le Meilleur Moyen pour y Rester", auxquelles les paroles très vertes de Michniak volent malheureusement la vedette. Un album à écouter quoi qu’il en soit, pour au moins comprendre ce qu'il se passe dans nos contrées en dehors du rap de rue académique à la française. Et du hip hop tout court d’ailleurs.