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Avant même d’écouter cette mixtape, il est déjà clair qu’elle sera bien placée dans nos référendums de fin d’année dans au moins une catégorie : celle des meilleures pochettes. Apparemment fiers de leur province, les DJ’s Big Mat et Psy Ray limitent le "Bonjour la France" au simple département de l’Hérault et l’illustrent par un pastiche de journal local. Découvrir finalement le nom du designer, pas si inconnu que ça, n’y change rien : nous sommes tout bien content de pouvoir débattre du prix du "W.A.R." des Creators, de découvrir du Big Mat en pièces détachées et d’opter pour du "Freestyle" sur garantie.

Côté musique, une autre bonne nouvelle, les deux instigateurs de cette "split tape" (une face pour l’un, une face pour l’autre) n’ont pas oublié d’être des DJ’s. Les scratches se multiplient, les enchaînements sont longs et sans couture, les titres sélectionnés sont surmontés d’effets sans se transformer pour autant en crème chantilly. A ce jeu là, les deux compères se valent et s’équilibrent. Voilà donc deux nouveaux DJ’s qui ont le bon goût de se souvenir qu’une mixtape n’est pas une simple compilation.

Les sélections des deux auteurs sont elles aussi très comparables. L’une comme l’autre se définissent par un éclectisme assez désarmant, même s’il ne s’exprime pas de la même façon. En ce qui le concerne, Psy Ray a d’emblée le toupet de faire suivre le brillant "Laundry" d’Anti-Pop Consortium par le "Stock in da Game" de Bumpy Knuckles (un "Stock in da Game" dans une version privée de ses explicit lyrics, curieusement). Et le DJ poursuit son oeuvre avec une sélection que ne reniera pas Hip Hop Section : Kutmasta Kurt, The Automator (pour "Buck Buck", cette étrange imitation de Black Moon qui figure sur A Much Better Tomorrow), les deux meilleurs titres des derniers albums des Creators (The Weight) et de The Pharcyde (Plain Rap) se succèdent tous avec bonheur.

L’ éclectisme s’exprime différemment chez Big Mat, puisque celui-ci accompagne quelques rappeurs très (Wu-Tang Clan, Cypress Hill) ou relativement (Dilated Peoples, Blackalicious à deux reprises) connus de titres à tendance nettement plus électroniques. Nonobstant le "Alphabet Aerobic" de Blacka, le DJ achève sa sélection par un titre des Freestylers, ces sympathiques post-ravers à velléité hip hop, et par Outcast. Attention, pas les deux trublions d’Atlanta, Outkast avec un "k", mais bien le groupe électronique du presque même nom. Le tout, surmonté à loisir de scratches, s’avère plutôt plaisant à l’écoute, et en tous cas bien supérieur au freestyle français qui précède de peu.

Car la mixtape inclut aussi deux titres de rap français. L''"Interlude" de Préparation Ash, sur la face "Achat" (celle de Psy Ray), bénéficie d’une instru qui se laisse écouter, surmontée de paroles qui relèvent plus de la discussion décousue que du rap. Il est cependant dommage que les protagonistes se complaisent dans ce ton de chien battu qui est l’une des méchantes caractéristique du hip hop français. Le freestyle de Gard’elite sur la face "Vente" est encore plus discutable : certes, les instigateurs savent se plier à l’exercice, et impressionnent, mais deux problèmes demeurent. L’accompagnement musical est assez infâme et les rappeurs, surtout le premier intervenant, semblent avoir un grand problème avec leur breath control : entendre en permanence leur souffle entre deux déflagrations verbales a quelque chose d’assez irritant.

Les deux seuls passages français ne sont donc pas les meilleurs moments de Bonjour le 34. Mais c’est bien le reproche à faire aux deux DJ’s. Ils s’en tirent bien, et s’il faut les comparer, reconnaissons que la sélection de Psy Ray est plus constante que celle de Big Mat mais que les meilleurs moments de turntablism se situent chez le deuxième. Match nul, donc, puisque Bonjour le 34 est globalement réussi. Une nouvelle preuve après, dans un genre sans grand rapport, le très bon Pure Vibes récemment traité ici que les bonnes initiatives du hip hop en France ne viennent pas nécessairement des grandes métropoles habituelles et sur-médiatisées.