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Thirstin Howl III (aka Big Vic Lo) est le maudit du rap indé. L’extravagant MC portoricain a beau avoir été désigné "artiste non signé du mois" par The Source en septembre 1997, participé à la première compilation du Lyricist Lounge et livré un "Brooklyn Blocks" d’anthologie sur le deuxième volume de Soundbombing, tous deux sortis chez Rawkus, son attendu premier album, un Skillionaire millésimé 1999, n’a finalement trouvé aucun label. Difficile donc de mettre la main dessus, même aux Etats-Unis. Et pourtant, l’effort en veut la peine, tant le rap foutraque et extraverti de Thirstin Howl III, accompagné de toute sa clique (Master Fu’ol, Rack Lo, Unique London et quelques autres) est indispensable et jouissif.

Dès la première plage, l’auditeur est plongé dans l’ambiance particulière de ce MC qui se complait à faire valoir ses performances passées de voleur de fringues (Ralph Lauren). Sur le ton loufoque et éploré qui lui est coutumier, Thirstin Howl III nous apprend sur "Still Live with my Moms" que la plupart des rappeurs, lui compris, vivent encore chez leurs mères, et comptent si possible y rester jusqu'à 188 ans : "maman lave le linge, maman paie les factures, maman fait la cuisine, merde, je ne vais quand même pas me barrer", proclame-t-il. Cette auto-dérision et ce goût pour les complaintes se retrouvent ailleurs dans l’album, notamment sur "Bury me with the Lo on" (une ôde de plus à Ralph Lauren), auquel un petit piano mélancolique confère une douceur âcre.

Là n’est cependant pas le seul talent du rappeur. Celui-ci prouve qu’il maîtrise toutes les facettes du emceeing, notamment sur l'énergique "Spit Boxer", exemple accompli de rap postillonnant, ou sur le minimaliste et inquiétant "Thirsty, Greedy". Il montre aussi qu’il sait forger des hits, grâce au fameux orchestre de cuivres de "Brooklyn Hard Rock", sa contribution à Soundbombing II, où il est accompagné à merveille par le rap aigre et féminin de Unique London. Ailleurs, c’est le merveilleux "Bad Things", l’un des sommets de l’album, qui tire son épingle du jeu, avec cette version pertinente de la fameuse recette piano+violon. Enfin, histoire de rester fidèle à ses racines portoricaines, Thirstin Howl rappe en espagnol (un espagnol très anglicisé) sur l'excellent quoique longuet "Swena Swena" et sur "Puno Boratcho".

Bref, Thirstin Howl est un brillant MC, peut-être l’un des meilleurs en activité, et il a des idées à revendre. Cela vaut incontestablement pour les paroles, le phrasé et ces désopilantes histoires de larcins, mais peut-être moins pour la musique. Comme s’il lui manquait des billes de ce côté, le rappeur fait en effet très grand usage des productions des autres. Le Wu-Tang, par exemple, est largement pillé : le MC emprunte la musique du "Label" de Genius/GZA sur le génial "John, they’re Stealing", celle du "4th Chamber" du même sur "Gold Card Membership" et celle, enfin, de l’irréprochable "Slang Editorial" de Cappadonna sur "Million Man Rush". Thirstin Howl se permet également de recycler un archi-classique underground, le sinisant "Tried by 12" de East Flatbush Project, d'abord sur "Guess on the Mix", puis sur "DJ Yooters Mix Tape".

Très long album consacré à l'art du emceeing, ce bancal Skillionaire a de nombreux moments d'ennuis, "Drunkfist" par exemple, qui viennent gâter un ensemble plutôt convaincant. Regorgeant d'idées entendues partout ailleurs, mais réunies ici fort à propos, il fait partie, comme son successeur Skillosopher sorti en 2000, de ces disques fouillis, touffus, vite torchés, mais au final, essentiels. Logique pour Thirstin Howl III, artiste inégal, inconstant, mais totalement indispensable.