En 1977, trois ans après le succès considérable de "Autobahn" et deux ans après un fondamental Radio-activity, construit autour du thème des télécommunications, Kraftwerk revient avec un nouveau concept-album, Trans-Europe Express, qui explore cette fois la thématique des voyages ferroviaires. A cette date, le statut du groupe est déjà bien établi : une image propre et austère inspirée du réalisme socialiste, poussée à la limite d'un ridicule assumé, et qui prend le contrepied total des modèles débraillés et extravertis de l'époque ; une musique fondée uniquement sur des machines et sur des rythmiques minimalistes et répétitives, et qui gagne chaque année en facilité pop. Avec son successeur The Man Machine, Trans-Europe Express parachèvera ce statut en dévoilant les compositions les plus décisives des quatre de Düsseldorf.

KRAFTWERK - Trans-Europe Express

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Tout au long de Trans Europe Express, donc, une rythmique mid-tempo implaccable évoque le bruit d'un train. Le signal du départ est donné dès le touches de synthé et les choeurs artificiels de "Europe Endless", morceau chanté et parcouru de vocoder, archétype des compositions les plus pop des allemands, et le disque s'achève par les brefs vocoders de "Endless Endless". Mais la grande réussite de l'album est incontestablement le long et formidable "Trans Europe Express". On y retrouve en permanence une rythmique complètement calquée sur celle d'un train à vapeur, répétitive et obsédante, égayée d'un gimmick orientalisant, et de quelques habiles et discrètes variations (en particulier sur "Metal on Metal", le deuxième volet de ce chef d'oeuvre). Inutile de préciser quel genre Kraftwerk invente ici, avec 10 ans d'avance...

Finalement, seuls échappent au thème ferroviaire l'original "The Hall of Mirrors", son gimmick d'outre espace et ses paroles sur un Narcisse d'un autre temps, l'élégant "Franz Schubert", anti "Trans Europe Express" et avant-goût de "Endless Endless", et "Showroom Dummies", morceau le plus connu, le plus conventionnel et le plus accessible de l'album, avec son invraisemblable histoire de mannequins d'expositions gagnés par la fièvre du samedi soir (une version française de ce morceau, "Les Mannequins", existait également en single).

Certains de leurs contemporains n'auront vu dans Kraftwerk qu'un groupe un peu vain, cachant son inconséquence derrière son image futuriste et une certaine facilité pop. Certes, l'électronique de Kraftwerk parait aujourd'hui un peu néanderthalienne, mais pas plus que la guitare de Dylan ou les synthétiseurs de Stevie Wonder. De fait, au-delà de la pop traditionnelle que Kraftwerk maîtrise parfaitement, c'est tout une nouvelle approche qui se met en place : un jeu sur les ambiances, via les quelques détails musicaux qui perturbent une rythmique implaccable. Une nouvelle recette pop, aussi fondamentale que la traditionnelle succession couplet-refrain, et qui triomphera dans les années à venir.

En 1977, en effet, s'ouvrait une nouvelle ère pour la musique, une ère d'une richesse immense dont Kraftwerk aura été le précurseur principal et l'une des influences majeures : les vagissements du punk engendreront une new wave tout à la fois froide et excessivement romantique, les rythmes des musiques de danse se robotiseront de plus en plus, et dans les ghettos de New York, le hip-hop fera ses premiers pas. L'un de ses premiers prophètes, Afrika Bambaataa, ne jure déjà que par les quatre de Düsseldorf, et samplera allègrement des extraits de Trans-Europe Express. Depuis, et plus de 20 ans après, on n'a cessé de revoir à la hausse l'influence considérable de Kraftwerk.