EIJI YOSHIKAWA – La pierre et le sabre

EIJI YOSHIKAWA – La pierre et le sabre

Miyamoto Musashi est un célèbre rônin, un samouraï sans attache (et plus tard, un calligraphe et un philosophe), qui vécut au début du dix-septième siècle, quand s’instaura le shogunat qui apporta au Japon la stabilité (et l’isolationnisme), jusqu’à l’ère Meiji. Il a été un grand escrimeur, un D’Artagnan à la mode nippone, dont les aventures ont inspiré un roman historique à la façon des Trois mousquetaires. Ecrit par Eiji Yoshikawa pendant les années 30, publié par un journal pendant quatre ans sous la forme d’un feuilleton, Musashi est devenu un immense classique de la littérature populaire japonaise, publié en France en deux tomes, dont La pierre et le sabre est le premier.

Preuve de l’influence de ce roman, ses motifs nous sont familiers. Ils nous surprennent peu, tant ils ont été repris ensuite. Le Japon que l’auteur nous dépeint est celui, éternel, du shogun Tokugawa Ieyasu. Il commence en 1600, à la bataille de Sekigahara, celle-là même qui met fin à une longue période de conflits et qui marque le début de l’époque d’Edo. C’est le moment où les arts martiaux, débarrassés de la brutalité inhérente à la guerre et nécessaire à la victoire, deviennent des esthétiques et des philosophies. C’est ce monde parsemé, de maisons de thé, de cerisiers en fleurs et de quartiers réservés pour geishas, au sein duquel errent des samouraïs désœuvrés, en quête d’actions, de prestige et de grandeur. C’est le Japon éternel, celui qu’idéalisent les Nippons eux-mêmes, celui qui nourrit leur imaginaire, et qui n’est qu’une construction culturelle. C’est celui qui façonne leur conscience nationale à une époque, les années 30, marquée par une furie patriotique.

Pendant longtemps, cette littérature a été invisible au public occidental. Du Japon, nous sont d’abord venus les romans étranges de Tanizaki et de Mishima, des livres sophistiqués, voire malsains, souvent parcourus d’un érotisme tordu, destinés à combler les fantasmes orientaux du premier normalien venu. Ils n’étaient pas toujours représentatifs. Mais avec les animés, puis avec les jeux vidéo et les mangas débarqués chez nous à partir de la fin des années 70, la véritable culture populaire nipponne a fini par nous exploser à la figure. Et celle-ci remonte, pour partie, au roman de Yoshikawa.

Les protagonistes de cette histoire évoquent des personnages de manga. On y croise, entre autres, un ancien ami bon-à-rien, un moine fantaisiste qui cache sa sagesse (et ses relations influentes) derrière une attitude de zinzin, une mamie vindicative, un chef militaire pervers et incompétent, (son fils) un garçon sale, enjoué et impétueux, une jolie fiancée diaphane, et une cougar manipulatrice. Et puis il y a Musashi lui-même, ce samouraï errant sombre et déterminé. Ce vagabond, pour reprendre le titre du manga de Takehiko Inoue, et qui est lui-même une adaptation graphique du roman.

C’est un Japon tout petit, qui nous est raconté. Une dizaine ou deux de ces personnages ne cessent de tomber les uns sur les autres, que ce soit à dessein ou par hasard. Et au centre de tous, se tient donc Musashi. Les enfants l’admirent, les femmes en sont éprises, les hommes et quelques autres le jalousent ou cherchent à s’en venger pour laver leur honneur déchu. Quant au héros lui-même, il est animé par une idée fixe, par un dessein supérieur qui le distingue des autres mortels : il vise l’illumination par le sabre. Il est un homme aux capacités hors du commun, qui cherche à se perfectionner en se confrontant sans cesse à plus fort (Sangoku, oui, toi aussi, tu es déjà là).

Cela l’amène à traverser le pays, à passer de Kyoto à Edo, de la ville à la campagne, du bord de l’eau à la montagne, à la recherche de la sagesse, à celle aussi d’un adversaire à sa taille. L’histoire, à vrai dire, n’a pas vraiment de sens en dehors de cette quête quasi-mystique. C’est un roman picaresque à l’orientale, un roman-feuilleton qui porte la marque de ses origines dans la presse. L’histoire d’amour entre Musashi et Otsu, par exemple, une longue suite de je-t’aime-moi-non-plus un peu mièvre, n’en finit pas. Pas plus que la déchéance du paresseux et de l’ivrogne Matahachi, ami d’enfance du héros. Ou que la haine farouche que sa mère, l’acariâtre Osugi, nourrit envers le rônin. Et que dire de la confrontation sans nom entre ce dernier et l’école décadente menée par le clan Yoshioka ?

Tout cela se lit bien et vite, malgré les huit-cent pages et plus de ce premier tome. Mais parce qu’Eiji Yoshikawa a marqué la conscience culturelle japonaise, les deux ou trois générations d’Européens qui se sont noyées dans les mangas et les animés auront l’impression d’avoir déjà lu cent fois ce roman.

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The Notorious S.Y.L.V., a.k.a. Codotusylv, écrit sur le rap et tout un tas d'autres choses depuis la fin des années 90. Il fut le fondateur des sites culte Nu Skool et Hip-Hop Section, et un membre historique du webzine POPnews. Il a écrit quatre livres sur le rap (dont deux réédités en version enrichie), chez Le Mot et le Reste.

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