DEVSTACKS – Scriptures
Nous vivons une bien drôle d’époque. Celle d’après le rap, peut-être bien. Celle où, signe de normalisation, les acteurs de ce genre ne sont plus motivés par la soif de succès et de reconnaissance, mais par la musique elle-même, par la beauté du geste. Par l’art pour l’art. Celle où les critiques les plus avertis et les plus pointus (et Alphonse Pierre a été un de ceux-là), entretiennent leur statut en célébrant des artistes toujours plus obscurs, où ils se complaisent à célébrer des esthètes perdus dans les méandres de leur passion, là-bas, tout en-dessous, au fond du gouffre.
Et le gouffre dans le rap, depuis de longues années déjà, c’est le Soundcloud rap. Ce sont tous ces bidouilleurs qui cherchent à transformer les styles les plus sauvages et les abrasifs, la trap, la drill ou les vieilles formules de Memphis, en de la musique de chambre. Issu de Springfied près de Boston, Devon Francis est l’une de ces personnes. Son truc à lui, c’est la regalia. Il est en quelque sorte le chef de file de ce sous-genre de la plugg qui mêle à ce dérivé de la trap des éléments somptueux issus de la musique classique (appréhendés, vraisemblablement, à travers les jeux vidéo). Et tout cela, sur ce Scriptures dont le titre (saintes écritures), le premier morceau ( « Praise God », loué soit Dieu), et la pochette (une croix en pendentif) annoncent la couleur, est mis au profit de thèmes chrétiens.
Mmhh. Je vous vois déjà saliver… Néanmoins, la perspective religieuse de Devstacks est subtile. Elle n’est explicitée que sur « Praise God », quand le rappeur rappelle que Dieu surveille les actions des mauvais garçons, et puis aussi sur « Nun Like The Rest » quand il confronte la vie dissolue et matérialiste des voyous et des filles des rues aux exigences religieuses d’humilité et de modération.
She say she a Christian, I know she a liar
She was in them streets, but now she say she retired
Elle se dit chrétienne, moi je sais qu’elle ment
Elle traînait dans la rue, mais elle se dit rangée
Pour le reste, Devstacks nous dévoile une formule étrange, où les rythmes de la trap music, les blablas habituels sur le sexe facile et sur les périls du ghetto (et plus rarement la drogue et le cash) se superposent à un rap évaporé passé par la moulinette de l’Auto-Tune, à des instrumentaux cérémonieux, voir à un chœur habité sur « Praise God », seules autres évocations du prisme religieux de l’auteur. Et c’est parfois assez inspirant. Ce court album au moins, Alphonse Pierre n’aura pas eu tout à fait tort, sans non plus le vanter exagérément, de le mettre en avant il y a deux ans.
