CUNNINLYNGUISTS – Strange Journey Volume One
Sorti le 24 mars 2009,
chez Bad Taste Records.
Les CunninLynguists sont un groupe à contre-courant. Ils sont l’exception qui confirme la règle. Le trio représente le rap de backpacker dans une région, le Dirty South, qui lui est presque imperméable. De façon anachronique, il perpétue un hip-hop remontant aux meilleures heures de la Dungeon Family, à rebours des vagues crunk, puis trap, qui sévissent à Atlanta. Puis avec l’album A Piece Of Strange, en 2006, il est reconnu au moment même où son école de rap est sur le déclin. Le groupe s’inscrit alors fermement dans le paysage, il côtoie des gens extérieurs à sa veine indie rap, et il se joint à la fête quand, à la fin des années 2000, les mixtapes acquièrent un statut inégalé à ce jour.
Strange Journey Volume One est la troisième des CunninLynguists, et la première d’une série qui en comptera deux autres. C’est aussi une mixtape à l’ancienne : un grand bazar, une compilation éclectique d’inédits, de morceaux live (l’excellent « Lynguistics », issu de leur premier album, joué en public à Stockholm), de remixes (« Dance For Me ») et de versions augmentées ou réécrites d’anciens titres, comme le très bon « Georgia », où ils sont accompagnés des affiliés à la Dungeon Family Killer Mike et Khujo Goodie, et « K.K.K.Y. » aussi, avec Skinny DeVille et Fish Scales de Nappy Roots. Ce sont des titres où les rappeurs s’expriment seuls, ou convient (voire confient les commandes à) des invités, ceux déjà cités, mais aussi des figures indé comme Mac Lethal et Slug, des proches ou d’anciens membres du groupe comme Tonedeff et Mr. SOS, ainsi que les Suédois de Looptroop Rockers.
Néanmoins, derrière ce grand foutoir, il y a un concept, un thème qui unit ces morceaux bigarrés : celui de la vie en tournée. Des interludes comiques parlent des désagréments de cette existence sur la route, et plusieurs titres détaillent cette expérience. « Don’t Leave (When Winter Comes) » et « The Distance » sont des complaintes sur l’éloignement et la vie de famille ratée qu’elle occasionne. « Nothing But Strangeness », au contraire, s’attaque au sujet sur un mode humoristique, relatant des aventures bizarres survenues en marge des concerts. « Never Come Down » et « Hypnotized » traitent de leurs à-côtés que sont la consommation de weed et les groupies. Et sur « Broken Van (Thinking Of You) », les rappeurs s’adressent à leur vieux van comme à leur maîtresse.
Tout cela ne fait pas du premier Strange Journey une sortie aussi cohérente que les albums officiels du trio. Mais on y trouve une fois encore les raps fluides de Deacon et Natti, lesquels passent avec naturel de l’humour à l’introspection. On y entend aussi les beats aux petits oignons de Kno, à mi-chemin entre mélancolie et légèreté. Et tout cela est bien davantage qu’un intermède récréatif.