BACKXWASH – Only Dust Remains
Sorti le 28 mars 2025,
chez Ugly Hag Records.
Le métier de critique musical est ingrat. Même avant l’ère du Streaming, qui l’a rendu à peu de chose près obsolète, Il était délicat. Comment, en effet, noircir toute une page sur quelque chose d’aussi abstrait que la musique ? Dès le début, cette limite induit un biais. Elle force les plumitifs à privilégier trois choses : l’histoire du personnage, son discours, et son approche des sons. C’est pour cette raison même qu’ils ont si mal couvert la portion la plus importante du rap, la régionale. Elle ne leur a offert que des rappeurs au même parcours, des paroles avec les mêmes thèmes, et des albums génériques et interchangeables à propos desquels il n’y a qu’une chose à dire : s’ils sont bien ou non.
Mais avec Backxwash, c’est tout autre chose.
L’histoire du personnage ? Difficile de faire plus singulier. Ashanti Mutinta, en effet, est née homme, en Zambie, dans une famille résolument chrétienne, avant de se déclarer transgenre, de s’installer à Montréal et de renouer avec des croyances traditionnelles de son Afrique natale. Et depuis 2020, elle s’est fait un nom avec une trilogie d’albums dont les titres à rallonge (God Has Nothing To Do With This Leave Him Out Of It, I Lie Here Buried With My Rings And My Dresses, His Happiness Shall Come First Even Though We Are Suffering) semblent nous indiquer qu’elle a beaucoup à nous dire.
Le discours, oui, parlons-en. Il est dense. BackxWash parle encore beaucoup de sa personne, du regard des autres (« Black Lazarus »), d’envies de suicide (« Wake Up ») et plus généralement de son mal-être. Mais ça n’est pas qu’auto-apitoiement. Dès le premier titre, elle relativise ses problèmes par rapport aux souffrances des enfants à Gaza, au Congo, au Sud-Soudan. Ses souffrances intimes, la rappeuse les met en regard avec celles du monde, sur « History Of Violence », en dénonçant tous les fascistes au passage. Ah, et puis aussi, motifs à toutes les exégèses, les références bibliques affluent, traces persistantes de son éducation chrétienne. Et ses paroles prennent parfois l’aspect d’un prêche, sur « Stairway To Heaven » plus particulièrement. Il est fort évident que tout l’art de Backxwash est une lutte féroce entre ce qu’elle est et ce que son éducation lui a enseigné à propos du péché.
Et puis il y a les sons. Là non plus, rien n’est générique. Backxwash, qui produit sa propre musique, privilégie deux approches qui excitent les critiques : l’expérimentalisme, et le mélange des genres. Emportés par une colère elle-même alimentée par son expérience de la vie, ses premiers albums ont aussi été des œuvres de metal. C’est parmi les aficionados de ce dernier genre que Backxwash a bâti sa première base de fans, avant de l’étendre avec ce dernier album plus remarqué que les précédents.
Only Dust Remains élargit encore la palette. Comme l’indiquent la posture apaisée et la robe blanche de la pochette, la musique de Backxwash ne repose plus seulement sur la fureur. Elle est plus apaisée, et elle explore de nombreux domaines. Des chants africains, du gospel et des synthés à la mode cold wave, parfois tout cela sur le même titre (« Black Lazarus »). De la musique indienne (« Undesirable »), aussi. Un peu de drum’n’bass (« 9th Heaven »), du post-rock (« Dissociation »), de l’ambient (« Love After Death ») et de longues odyssées sonores sophistiquées comme « History Of Violence », et ce « Stairway To Heaven » sans rapport avec le standard de Led Zeppelin, mais tout aussi épique.
Pour toute ces raisons, cet album qui pourrait être celui de la reconnaissance pour Backxwash. Il a bénéficié d’une belle couverture médiatique. Il y a tant à dire sur elle, c’est un vrai bonheur pour les critiques… Cependant, il ne faudrait pas oublier l’essentiel, la seule chose qui, au-delà de tous ces blablas que plus grand-monde ne lit, est vraiment déterminante : indépendamment de ces considérations, Only Dust Remains est prenant, intense, saisissant. Cet album est bien.