ACEYALONE – All Balls Don’t Bounce
A coup sûr, la plus grande injustice de l’Histoire du hip-hop est le rendez-vous manqué d’Aceyalone avec une gloire et une reconnaissance dignes de son talent. Quand le rap virtuose du rappeur de Freestyle Fellowship est au sommet de son art, l’heure n’est pas venue, l’époque est au gangsta rap dans sa Californie natale, et à un boom bap austère à l’autre bout des US. Et quand, autour de l’an 2000, un rap plus libre est enfin de mise, les disques d’Acey sont devenus moins bons.
Aceyalone a beau collaborer avec El-P, Antipop Consortium et RJD2, rien, à part le premier Haiku d’Etat, n’égale plus To Whom It May Concern et Innercity Griots, les albums de Freestyle Fellowship, cette compilation Project Blowed dont il est le co-instigateur en 1994-95, ni ses deux premiers albums solo. Il demeure un artiste culte, et il ne reste plus aux nouvelles générations qu’à redécouvrir ses disques des années 90 pour prendre la pleine mesure du rappeur.
Si parmi les solos susmentionnés, l’album concept A Book of Human Language est un bon point d’entrée pour les gens extérieurs au hip-hop, All Balls don’t Bounce est la grande œuvre qu’Acey a sorti sous son seul nom. Assurée par une pléiade de beatmakers, dont Punish, Fat Jack, The Nonce, Mumbles et le rappeur lui-même, la production y est moins riche et plus effacée que sur l’album suivant.
Hormis quelques bizarreries comme « Arhythamaticulas » et « B-Boy Kingdom », l’accompagnement musical se résume le plus souvent à quelques boucles jazzy, peu notables en elles-mêmes. Ici, les beats ne sont pas l’attraction principale. Ils ne servent que de faire-valoir aux raps d’Aceyalone. Car, épisodiquement épaulé par des MCs à sa mesure (Abstract Rude et ses anciens collègues de Freestyle Fellowship), et comme il l’explicite sur « All Balls » ou « Arhythamaticulas », Aceyalone emploie tout l’album à remettre à leur place les rappeurs ordinaires :
Now the problem with you MC’s today
Is you’re too emotional
You have no devotion to the social bug spread
By the words you said to the public
You have no regard for the masses how you effect them
And how they view you
Le problème avec vous, les MCs d’aujourd’hui,
C’est que vous êtes trop émotionnels
Vous n’avez aucune dévotion pour le virus social propagé
Par les mots que vous adressez au public.
Vous n’avez aucun respect pour les masses, pour l’effet que vous avez sur elles,
Ni pour la façon dont elles vous perçoivent
Le rappeur, néanmoins, pontifie peu. Au contraire, il s’en donne à cœur joie, exhibant toutes les facettes de son flow impressionnant de plasticité, changeant de rythme avec une aisance confondante, interprétant des textes sophistiqués, rappant on ou off beat, passant d’un ton doux à un autre plus mordant, navigant sans accroc du style battle (« Anywhere You Go », le magnifique « Deep & Wide », « The Greatest Show On Earth », et l’efficace « Mic Check ») à de subtiles réflexions sur son identité de Noir et de rappeur (« Mr. Outsider ») et à des chansons dédiées au beau sexe, où la femme s’avère bien autre chose qu’un simple objet, menant son soupirant par le bout du nez (« Annalillia ») ou faisant regretter une rupture à son ex (« Makeba »).
Comme avec Freestyle Fellowship, mais cette fois seul maître à bord, Aceyalone délivre un hip-hop en avance sur son temps, une musique qui ne rencontrera pas le succès attendu ou mérité, mais qui plante quelques graines pour l’avenir. Il définit à merveille, et notamment sur le tout dernier titre, « Keep it True », cette sorte de guide de survie du hip-hop, un rap auquel il fera souvent bon revenir.