NONAME – Telefone

NONAME – Telefone

Telefone, le premier projet de Fatimah Warner, alias Noname (autrefois Noname Gypsy), s’est fait attendre. Sorti en 2016, il est annoncé trois ans plus tôt, au moment où la jeune femme se fait connaître sur Acid Rap, la mixtape remarquée de Chance the Rapper. Entretemps, bien avant qu’une oeuvre à son nom ne daigne enfin sortir, elle participe au conceptuel The Water(s), de Mick Jenkins. On l’entend également sur Late Knight Special, le premier album du rappeur et producteur new-yorkais Kirk Knight, et tout dernièrement, en 2016, sur celui de Saba, Bucket List Project.

Chance the Rapper, Mick Jenkins, Saba… Tous ces noms donnent un aperçu de la veine creusée par Noname à Chicago : parfois légère, souvent intime et toujours réfléchie, formée à la poésie et au slam, elle est le contraire exact d’une rappeuse drill. C’est manifeste dès le tout premier titre, « Yesterday », où elle met en cause la valeur de l’argent et de la célébrité. Hantée par la mort de sa grand-mère, elle s’éloigne de ces démons que sont l’alcool, la fête et l’ecstasy, et émaille ses propos de discrètes références bibliques. Sur « All I Need », la rappeuse fait un distinguo clair entre ce que l’on convoite et ce dont on a vraiment besoin. Et quand elle abandonne ces considérations morales, elle parle des affres de l’amour, comme sur « Sunny Duet », un duo avec le chanteur R&B TheMIND.

La musique est en phase avec les paroles. Elle s’inscrit dans la tradition afro-américaine avec les compositions erratiques d’un jazz doux, faites de touches de piano ou de xylophone, de claquements de main, du chant de la rappeuse ou de ses nombreux invités, et d’un zeste de gospel sur « Shadow Man ». Dans la lignée de Chance, ce que Noname nous offre gratis sous le nom de « mixtape », bénéficie de la même attention et des mêmes efforts qu’un album. Court, ramassé, Telefone est un objet bien pensé, qui tourne autour d’un concept établi : il se réfère aux conversations téléphoniques qui ont compté dans la vie de la jeune femme. Nulle surprise, donc, si Noname adopte souvent le ton badin d’une conversation, si elle versifie, plus qu’elle ne rappe, et qu’elle chantonne presque.

Ses points communs avec celui qui l’a fait connaître sont évidents. Toutefois, il serait injuste de la réduire à un Chance the Rapper au féminin. Et même si tous les codes de circonstances sont là, y compris la référence à Nina Simone sur « Freedom Interlude », il serait tout aussi expéditif d’en faire une simple rappeuse « consciente ». Certes, Noname dénonce avec « Casket Pretty » un Chicago brutal, injuste et meurtrier, qui est sans doute le même que celui de la drill music. Mais à l’image de la pochette, une tête de mort sous la forme d’un dessin d’enfant, ces thèmes sinistres sont abordés avec un ton guilleret et une musique primesautière, qui sont les dernières flammes de l’insouciance.

Sur « Diddy Bop », avec Cam O’bi et Raury, l’un de ses meilleurs titres, Noname se remémore sur une jolie musique son enfance joyeuse, mais avec la violence et les dangers du ghetto en arrière-plan. Le même contraste s’observe sur le mélodique « Shadow Man », où elle imagine ses funérailles, tout comme sur « Bye Bye Baby », qui ressemble à un hymne heureux à son bébé, avant qu’on s’aperçoive que celui-ci n’a jamais existé, et que c’est un avortement que regrette la rappeuse. Telefone, au bout du compte, est un album d’apprentissage, comme il y a un roman d’apprentissage, l’histoire d’une jeune fille légère, confrontée à un monde qui ne l’est pas. Celle, éternelle, de la perte de l’innocence.

Acheter cette mixtape

Evaluez cet article !

The Notorious S.Y.L.V.

The Notorious S.Y.L.V., a.k.a. Codotusylv, écrit sur le rap et tout un tas d'autres choses depuis la fin des années 90. Il fut le fondateur des sites culte Nu Skool et Hip-Hop Section, et un membre historique du webzine POPnews. Il a écrit quatre livres sur le rap (dont deux réédités en version enrichie), chez Le Mot et le Reste.

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *