Berner est, avant tout, un entrepreneur, mais son champ d'intervention n'est pas tout à fait anodin : ses lignes de vêtements mises de côté, c'est dans la weed, en voie de dépénalisation en plusieurs endroits des Etats-Unis, que notre Californien d'origine mexicaine, Gilbert Milam de son vrai nom, a décidé d'investir. Etabli à San Francisco, il possède plusieurs dispensaires de marijuana médicale, il a lancé marijuana.com, qu'il présente comme l'Instagram de cette herbe, et il s'est associé aussi à des généticiens en quête de nouvelles variétés de cette substance.

BERNER - The Big Pescado

Or, rien de tel que le commerce de la drogue pour se construire un réseau. C'est d'ailleurs après lui avoir donné un peu de sa weed que celui qui, accessoirement, est un rappeur, s'associa avec The Jacka autour de 2008. Avant cela, il avait aussi œuvré avec Equipto, ancien membre du groupe culte Bored Stiff et collaborateur d'Andre Nickatina, et c'est grâce à leurs travaux communs qu'il fut identifié par Wiz Khalifa, dont il rejoignit le Taylor Gang. Plus tard, en 2017, on l'a vu sortir des projets communs avec des rappeurs aussi distincts que Young Dolph (Tracking Numbers) et Styles P (Vibes). Et aujourd'hui, Berner peut se targuer d'avoir convié sur son dernier album, The Big Pescado, une liste impressionnante de collaborateurs, allant de vétérans californiens comme Too Short, E40, Snoop Dogg et The Game, à des rappeurs plus récents issus de l'autre côte, comme Conway et Shy Glizzy, en passant par d'autres valeurs sûres comme Devin the Dude et Pusha T, et par les chanteurs TeeFLii, Trey Songz et Jeremih.

L'invité le plus décisif de cet album, cependant, est un autre : pour en produire l'entièreté, Berner est allé déterrer Scott Storch. The Big Pescado en porte la marque, avec ses sons qui évoquent les années 2000, et qui reposent souvent sur l'instrument fétiche du producteur : le piano. On en entend beaucoup, sur cet album, dès un "G.R.E.E.D." qui cuisine à la sauce Berner le refrain du "C.R.E.A.M." du Wu-Tang. Ce titre est bon, mais d'autres encore suivent, qui emploient cet instrument avec la même réussite, comme "Wait for It", "Loose Lips", "Noid", "Gettin' It", "Play your Roll" et "Blind to the Bullshit". La majorité se situe au début du disque, quand Berner, de son rap calme et posé, parle de son sujet de prédilection, la drogue, mais sous un angle sinistre : celui de son trafic, de ses réalités, de ses dilemmes et de ses périls.

Ensuite, toutefois, le Californien s'attaque au bon côté des choses. Sur "Noid", il la célèbre, sa marijuana, avec ces grands fumeurs devant l'éternel que sont Snoop Dogg et Devin the Dude. Sur "Play your Roll", "Big Bags" et "Check", il fait étalage de sa richesse. Sur "Gettin' It" et "Last Year", il renoue avec un vieux thème de la Bay Area, celui du pimp, un sujet dont nous ne sommes pas loin non plus avec "Busy Body", à propos d'une femme éminemment désirable.

Avec cette seconde partie, Scott Storch adapte sa production, qui devient plus diverse. On entend des clavecins sur "Flex", du R&B lascif et très club sur "Busy Body" et "Last Year", de la hyphy sur "Big Bags", de la trap avec "Check" et une ballade mélancolique sur "Blind to the Bullshit". Avec une telle variété en fait, avec cet album équilibré, constant et séduisant, Berner livre ce qui pourrait être le disque de l'aboutissement, sa grande oeuvre, celle par lequel notre entrepreneur de la marijuana consolide pour de bon sa place dans le panthéon des rappeurs.

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