Basé à Brooklyn, le DJ d'origine portoricaine Joseph Hernandez, alias Tony Touch, a été une autre figure capitale de la mixtape new-yorkaise dans ce premier âge d'or qu'ont été les années 90. Son grand fait d'arme, c'est d'avoir repris l'idée développée par Doo Wop sur son séminal 95 Live, et de l'avoir amplifiée avec sa série des Power Cypha, en invitant à chaque fois pas moins de 50 rappeurs à poser leurs freestyles. Mais il est aussi à l'origine de quelques autres grandes mixtapes. L'une d'elles, nommée d'après un vieux film de kung-fu (comme il était de mise à l'époque du Wu-Tang Clan), fut 5 Deadly Venoms of Brooklyn, où il invitait quatre autres DJs que lui à proposer, sur une vingtaine de minutes, leurs mixes propres.

TONY TOUCH - 5 Deadly Venoms of Brooklyn

Tape Kingz :: 1997 :: écouter la mixtape

Ces convives étaient un vieil ami à lui, PF Cuttin' de Blahzay Blahzay, ainsi qu'une autre légende de la mixtape, l'animateur radio Mister Cee, et deux DJs surtout célèbres pour leurs travaux de producteurs, Premier de Gangstarr et Evil Dee des Beatminerz. Et chacun de ces gens, prenant l'identité d'une vilaine bête (le lézard, le crapaud, le serpent, le scorpion, le mille-pattes) défendait ici son style propre, déclinant ainsi, sur une seule cassette toutes les facettes de l'art des mixtapes.

PF Cuttin', par exemple, s'adonnait au turntablism. Mister Cee, lui, se lançait dans des blends, il livrait des remixes où rap et R&B s'entremêlaient. Tony Touch, en ce qui le concernait, ne déployait que des freestyles, ceux de Freddie Foxxx, Guru, Jeru the Damaja, entre autres, ainsi que le sien propre, notre homme sachant aussi rapper. DJ Premier se penchait exclusivement sur des morceaux old school, exhumant notamment une battle entre Busy Bee et Kool Moe Dee, ou rappelant au monde les excursions dans le rap de Malcolm McLaren. Et Evil Dee fermait le tout par un bouquet final, où des scratches et des remixes s'attaquaient à une sélection pointue de titres plus contemporains, aux fortes consonances boom bap.

En plus de l'adresse de chaque DJ, 5 Deadly Venoms of Brooklyn bénéficiait d'un mix de qualité, ainsi que d'une sélection exemplaire, faite de morceaux rap illustres, comme le "Me Or The Papes" de Jeru, dans une version remixée, mais aussi de merveilles plus méconnues comme le "I'll Be Damned" de Verbal Hoods. La contribution de Mister Cee mise à part, il proposait aussi du hip-hop pur et dur, à très forte dominante new-yorkaise, et avec les figures d'un underground naissant, comme Breez Evahflowin'. Cette mixtape fut en fait si aboutie, qu'elle fut souvent désignée comme l'une des plus grandes de l'histoire, et son aura sera telle que, vingt ans plus tard, le concept sera décliné par Poska, Stresh, Brasko, Fab et Skillz, 5 DJs français de générations différentes, sur un 5 Deadly French Venoms.