Et si le grand rappeur de notre temps, c'était Kodak Black ? Depuis quatre ans, le Floridien nous offre à intervalle régulier des projets solides, voire excellents. Et avec Painting Pictures, l'effort ne se relâche pas. Cette fois, il s'agit d'un vrai album, et cela se ressent. Le jeune prodige, en effet, est épaulé par des poids lourds : Future, Jeezy, Young Thug et Bun B côté raps, Mike Will, Metro Boomin et Southside côté sons. Les morceaux sont plus variés, ils ratissent large, nous parlant même d'amour sur les titres "Save You" et "Side Nigga". Qui plus est, ce projet s'articule autour d'un concept, énoncé dès le début par l'intéressé : l'art de Kodak Black, selon lui, ne serait pas le rap, mais la peinture, et grâce à elle, il expose son parcours, sa vie, son entourage.

KODAK BLACK - Painting Pictures

La source d'inspiration du rappeur est la même depuis ses débuts : les "projects", ces HLM au sein desquels il a grandi, ce lumpenprolétariat afro-américain de Floride qui offre peu d'alternatives. Chaque titre a pour arrière-plan cette réalité sociale. "J'étais condamné avant même de naître", dit-il dès le premier, "Day For Day", un morceau consacré à cet endroit, la prison, où il passe la moitié de son temps. Et sur "Tunnel Vision", un single produit de main de maître par Metro Boomin, Southside et Cubeatz, à ce jour le plus grand succès du rappeur, ce dernier aborde le même thème. Illustré par une vidéo mettant en scène les croix en feu du Ku Klux Klan, ainsi que la lutte à mort entre un Noir et un suprématiste blanc, ce titre porte sur la vision étroite et ignorante à laquelle ceux du ghetto, lui inclus, sont fatalement condamnés.

Kodak Black joue donc du réalisme social. Mais ailleurs, il est aussi un délinquant cynique, jouisseur et amoral. Il vante ses charmes et parle de sexe anal sur "Coolin and Boosted". Il aspire à une vie de luxe et de débauche matérielle sur "Candy Paint". Il conte ses exploits de truand sur "U Ain't Never". Il parle de ses poches pleines sur "Patty Cake". Il vante sa relation avec sa copine de 28 ans (rappel : lui en a à peine 20) sur "Twenty 8". Et sur "Why The Call You Kodak", c'est de manière violente et menaçante, l'arme au poing, que le rappeur se présente. Cette contradiction entre sagesse et criminalité impénitente n'est pourtant qu'apparente chez le rappeur. Et elle est expliquée sur la formidable collaboration avec Future : "Conscience". Kodak Black y raconte comment la rue l'a formaté, comment elle a anesthésié sa conscience.

"Conscience" est le titre pivot de Painting Pictures. Pas simplement à cause du texte, mais aussi parce qu'après l'album change de dimension. Kodak Black y déploie ses meilleurs titres, ceux où il s'engage sur le terrain le plus personnel, ceux où il démontre aussi ce qui est sa grande force : son oreille musicale. La seconde moitié est celle de "Reminiscing" où, avec l'aide d'A Boogie Wit Da Hoodie, un Kodak Black introspectif s'interroge sur l'image qu'il renvoie. Celle aussi de "Feeling Like", où avec Jeezy, le Floridien partage son blues de gangster. Elle est enfin celle de "There He Go", ce manifeste d'art de vivre gangster qui fut le premier single du rappeur à sa dernière sortie de prison, et qui clôt son album, histoire de ne pas le finir sur un aveu de faiblesse. C'est tout cela, qui fait un grand de Kodak Black, cet album en témoigne encore.

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