Formellement parlant, le premier Foxy Brown n'invente pas grand-chose. On retrouve ici, dès le titre "(Holy Matrimony) Letter To The Firm", le thème mafioso de mise à l'époque. Concoctés par le duo Trackmasters (et quelques autres comme Havoc, sur l'admirable "The Promise"), les sons sont ceux, souvent sombres, du rap de rue new-yorkais. La rappeuse démontre aussi son ancrage fort dans la tradition hip-hop locale, en transformant le "Rock the Bells" de LL Cool J en un "Foxy's Bell", ou en s'offrant les services de Kid Capri sur "Fox Boogie". Via le refrain de "No One’s" et le single "Get Me Home", avec Blackstreet, on y trouve également, comme ailleurs dans ces années-là, un rap aux accents R&B. Bref, Ill Na Na est typique du rap East Coast du milieu de la décennie 90. Et même si cela n'en a pas l'air, c'est en fait un sacré compliment.

FOXY BROWN - Ill Na Na

La rupture causée par cet album au succès phénoménal ne concerne pas tant le rap, que la place qu'y occupe la femme. Le statut de classique n'est pas toujours reconnu à Ill Na Na, la critique l'a parfois trouvé inégal. Mais ce disque a été l'œuvre décisive du hip-hop au féminin, avec Hard Core, celui sorti une semaine plus tôt par la future rivale de Foxy Brown, Lil' Kim.

Tout d'abord, en termes de présence au micro, la jeune femme d'origine métissée (née d'une famille trinidadienne, elle a du sang africain, indien et chinois), alors âgée d'à peine 17 ans, se porte à la hauteur des hommes. C'est d'ailleurs grâce à son verbe facile qu'Inga Marchand (son vrai nom, avant qu'elle n'adopte celui d'une héroïne du cinéma Blacksploitation) a été remarquée par les producteurs DJ Clark Kent et Tone des Trackmasters. C'est pour la même raison qu'elle a enflammé le public rap avec le remix du "I Shot Ya" de LL Cool J, un morceau où elle tient la dragée haute aux poids lourds Prodigy et Fat Joe. Puis qu'elle a concrétisé avec d'autres titres encore, comme "Ain't No Nigga", avec Jay-Z. Le talent de la demoiselle est tel qu'elle a été âprement courtisée par plusieurs labels, avant d'opter finalement pour Def Jam.

Mais là n'est pas l'essentiel. Des filles qui rappent mieux que les garçons, le rap en a compté plusieurs déjà. Ce qui change, en cette époque où les Da Brat, Boss et autres ont privilégié une posture masculine pour aller défier les mâles sur leur terrain, c'est que Foxy Brown n'est pas comme elles, un garçon manqué. A l'instar de cette pochette où elle exhibe un décolleté pigeonnant, elle choisit au contraire de jouer de ses charmes féminins. Elle se montre hypersexuée, et fait preuve de la même assurance, de la même absence d'inhibition, du même irrespect des convenances, que ses collègues masculins les plus machos, par exemple quand elle s'engage avec "I'll Be", dans un duo au contenu très explicite en compagnie de Jay-Z.

Cet Ill Na Na qui intitule l'album, c'est son vagin ("vagina", qui en argot donne "na na"), dont elle vante la supériorité sur le titre éponyme, avec Method Man. Cette femme qui s'offre ainsi sexuellement, et dont un autre sujet de prédilection est la mode, a de quoi effaroucher alors les féministes. Ces derniers, cependant, doivent parfois mieux écouter ces paroles qui nous parlent d'une mère de famille délaissant une nuit sa famille pour pouvoir s'éclater. "Ill Na Na", le titre, tout comme l'album dans son ensemble, tout comme la pas toujours commode Foxy Brown, proclame un droit des femmes à la jouissance, une envie impérieuse de libération sexuelle, qui deviendra le dénominateur commun de la plupart des rappeuses à venir.

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