Epic :: 2016 :: acheter le disque

Et pourtant, depuis sa sortie, ce sixième album des New-Yorkais est un succès, commercial tout autant que critique. La nostalgie, certes, est le ressort le plus puissant de cette réussite, d'autant plus que sur We Got It from Here... Thank You 4 Your Service, A Tribe Called Quest assume son âge. C'est un disque de vieux, avec sa texture organique et ses "vrais" instruments, avec ses embardées politiques ironiques, et avec la participation d'une certaine aristocratie musicale : Kanye West, André 3000, Kendrick Lamar, Anderson Paak, Jack White côté rock, et même cette vieille antiquité d'Elton John. Le groupe reste fidèle à lui-même, jusqu'à se présenter dans sa configuration la plus complète, avec la présence de ses collaborateurs historiques, Busta Rhymes et Consequence, et surtout avec le retour très actif de Jarobi, qui avait quitté la bande dès après le premier album.

C'est d'ailleurs surtout à celui-ci, People's Instinctive Travels & the Paths of Rhythm, que fait penser We Got It from Here..., et pas seulement pour la longueur de son titre. On y retrouve le même aspect varié et décousu, les mêmes samples inhabituels empruntés aux chouchous de la critique rock (cette fois Can, au lieu de Lou Reed), et même, sur le très bon "Enough!!", le sitar mémorable qu'on entendait déjà sur "Bonita Applebum". Dès les premières notes de l'orgue qui ouvre l'album, ou plus tard avec la trompette de "Ego", c'est signé, c'est du Tribe Called Quest. Cependant, et c'est là son miracle, si cet album tardif s'inscrit dans un univers familier et qu'il ne s'interdit pas des clins d'œil au passé, il ne sent pas le réchauffé. Il est, en somme, davantage Rogue One que Le Réveil de la Force.

Les deux premiers morceaux, "The Space Program" et "We the People…", sont politiques, l'un abordant sur un mode pessimiste le vieux mythe afro-futuriste, et l'autre prenant la défense des minorités. En plus d'être parmi les plus efficaces de l'album, ils sonnent soudainement très justes, à l'heure du mouvement "Black Lives Matter" et du réveil de la conscience noire dans une partie du rap. Ailleurs, sur "Dis Generation", on se surprend à aimer à nouveau Busta Rhymes, et on ne se lasse bien sûr jamais d'André 3000 sur "Kids". L'humour se mêle à une émotion qu'on entend sur le beau "Melatonin" et, de manière moins convaincante, sur un "Lost Somebody" dédié au rappeur décédé. Et le dernier morceau, "The Donald" (qui n'est pas le titre anti-Trump attendu), réussit son autre hommage à feu Phife Dawg, en jouant d'une légèreté toute jamaïcaine plutôt que du pathos.

C'était là la meilleure façon de lui dire adieu. De manière plus générale, cet album, malgré une seconde moitié en eau de boudin, aura été la sortie idéale pour un groupe qui, sauf pression commerciale insurmontable, n'en enregistrera probablement plus aucun. Une ultime fois, il s'y sera montré inventif, truculent, drôle, pertinent, engagé et enjoué. Tout comme autrefois, donc. Mais maintenant.